En France, toutes les 7 minutes, une femme est violée, tous les 2 jours et demi, une femme meurt sous les coups de son compagnon... Pourtant ces violences ne sont pas toujours bien comprises par les professionnels de santé...
Les violences : un cercle vicieux
« Mais pourquoi reste-t-elle toujours avec lui, si elle est maltraitée ? Si c’était moi, je serai partie depuis longtemps !».Cette remarque, ne l’a-t-on pas déjà entendu sortir de la bouche d’un professionnel ?
Pourtant, tout le monde sait que subir des violences physiques et/ou psychiques est traumatisant, que ces actes sont une atteinte à la dignité et aux droits. Et pire encore, que ces comportements agressifs et/ou violents laissent des traces indélébiles. On sait tout cela mais la loi du silence, du déni, persiste malgré tout. Souvent associées à des stéréotypes, les violences ne sont plus de la responsabilité de l’agresseur mais de la victime, les rôles s’inversent, elle devient la coupable, celle qui a menti et même celle qui a provoqué le viol.
Marquée par la sidération, la victime devient incohérente, elle ne semble pas souffrir et parait même insensible. Ces réactions incomprises sont pourtant les conséquences psychotraumatiques de violences, la victime est dissociée, c’est-à-dire qu’elle est anesthésiée émotionnellement. Sa mémoire traumatique lui fera revivre les évènements de violence pendant des années tant qu’elle n’est pas traitée.
Ce mécanisme décrit depuis plus de 30 ans, est psychologique, neurologique, neurobiologique, physiologique et ces « blessures » s’observent même sur des clichés d’IRM encéphaliques fonctionnelles où l’on peut distinguer une paralysie de la zone corticale et une hyperactivation de la zone émotionnelle (Bremner J.D, 2003).
Dépister les violences
Si certains sont persuadés que les violences ne concernent que les catégories sociales populaires, il faut savoir qu’elles touchent tous les milieux sociaux. Elles ne connaissent aucune frontière géographique, ni culturelle et bien souvent l’agresseur se compte parmi les proches de la victime.
L’enquête IVSEA (Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte) de 2015 avait révélé que près de 50% des violences sexuelles s’opéraient au sein de la famille ou du couple et les conséquences de tels actes peuvent être dramatiques.
Le rapport Henrion de 2001 rappelle que 25% des morts maternelles sont le fruit d’homicide ou résultent de conséquences de violences physiques pendant la grossesse. C’est une période de grandes vulnérabilités physiques et psychiques, un moment où peuvent se déclencher des violences déjà latentes, où peut s’aggraver un cycle déjà existant au sein du couple.
Le dépistage de violence n’est pas toujours évident à déceler, la victime a tendance à minimiser la situation et dissimuler aux autres, comme à elle-même la vérité. Néanmoins, certaines situations peuvent être évocatrices :
Des antécédents connus de maltraitance dans l’enfance ou dans une relation de couple précédente, une situation d’absence d’emploi ou d’instabilité professionnelle (chômage, études en cours), de précarité ou d’exclusion , un conjoint dont la consommation d’alcool est excessive.
Une demande d’IVG, une déclaration tardive de grossesse, une grossesse mal suivie (conséquence possible d’un viol conjugal ou d’une interdiction par le conjoint d’utiliser un contraceptif), un partenaire trop «prévenant», répondant à la place de sa compagne, contrôlant ses faits et gestes pour la maintenir sous son contrôle et sa domination.
Aussi, devant des signes cliniques, le professionnel de santé peut se montrer vigilant :
Des lésions traumatiques, visibles ou cachées, récentes ou anciennes : être attentif aux lésions tympaniques et ophtalmologiques
Les troubles psychologiques : troubles psychosomatiques (palpitations, douleurs, céphalées, etc), anxiété, panique, dépression, idées et/ou tentatives de suicide, état de stress post-traumatique, troubles du sommeil, de l’alimentation, troubles cognitifs
les abus de substances pour lutter contre le stress : tabac, alcool, drogues, médicaments antalgiques, etc
Les grossesses pathologiques, conséquence de violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques: accouchement prématuré, retard de croissance in utero, avortement spontané, rupture prématuré des membranes, rupture utérine, décollement rétro-placentaire, mort fœtale ;
Les troubles gynécologiques : lésions périnéales, infections sexuellement transmissibles (chlamydioses, infections HPV, infection VIH), douleurs pelviennes chroniques, dyspareunie, dysménorrhée.
En l’absence de signes évocateurs, la seule possibilité reste le dépistage systématique. Ainsi aborder les violences dans l’anamnèse et poser à toutes les patientes quelques questions type - si son compagnon est gentil avec elle, si elle a déjà subie des violences et si son enfance a été heureuse - représenterait l’opportunité de lui faire connaître l’existence d’un lieu où elle peut être entendue, si elle le désire.
Au-delà de ce climat d’écoute, la patiente doit se sentir en confiance, soutenue et valorisée dans ses démarches. Le climat de confiance sera d’autant plus facile à établir si la patiente est suivie toujours par le même professionnel.
Cette stratégie du dépistage systématique de la violence conjugale dans le suivi des femmes enceintes est préconisée aux Etats-Unis par "l' American College of Obstetrician and Gynecologist " en proposant un bref questionnaire lors de l'anamnèse; Au Royaume-Uni, le département de la santé encourage aussi cette pratique avec un questionnaire s'incluant dans l'interrogatoire social et répété à plusieurs reprises lors du suivi des femmes enceintes. Même s’il est recommandé également en France, ce dépistage reste encore sous-utilisé.
La réalisation systématique du dépistage de violence implique aussi que le professionnel soit prêt à entendre les confidences de la patiente, à la prendre en charge et à l’orienter. Il est primordial que ce travail soit réalisé en réseau multidisciplinaire avec l’accord de la patiente et veiller à ce que les propositions d’aide soient le plus larges possible.