Avec près de 10 000 naissances par an (1), Mayotte est la plus grande maternité de France, et même d’Europe. Dans ce 101ème et dernier département français, c’est l’équivalent d’une classe de trente élèves qui voit le jour quotidiennement.
Ce qui m’a poussée à venir exercer ici ?
C’est peut-être la conviction que, là où l’indice de fécondité est le plus élevé de France, 4,1 enfants par femme (2), l’accès des femmes aux soins gynécologiques et obstétricaux devrait être une priorité. Mais les choses ne sont pas si simples en réalité.
Il y a un an, j’ai donc quitté la métropole pour venir exercer à Mayotte.
Afin de désengorger l’hôpital du chef lieu Mamoudzou et de faciliter l’accès aux soins, quatre centres de références périphériques ont été construits aux quatre coins du département. Chacun de ces centres est composé d’une maternité et d’un dispensaire au sein duquel sont réalisées des consultations chroniques et d’urgence.
Je suis sage-femme dans l’une de ces quatre maternités périphériques
Sur place, on ne trouve aucun obstétricien, aucun pédiatre, ni anesthésiste-réanimateur. Ici, en collaboration avec des auxiliaires de puériculture, nous travaillons seuls.
Nous comptons, en cas d’urgence vitale, sur la disponibilité du médecin généraliste de garde au dispensaire. Dans ces situations, ou en cas de pathologies obstétricales, gynécologiques, et néonatales répertoriées dans un protocole, nous organisons des transferts vers la maternité centrale de Mamoudzou. Parfois même, nous effectuons le trajet en ambulance et sommes amenés à y réaliser des accouchements et des réanimations.
Au quotidien, nous prenons en charge les consultations (neuvième mois de grossesse, suivi de grossesses à risques sous prescription téléphonique des gynécologues-obstétriciens, urgences obstétricales et gynécologiques). Nous pratiquons les accouchements à bas risques, sans analgésie péridurale, et assurons les suites de couches physiologiques et surveillances de la mère et du nouveau-né en post-partum après retour à domicile.
Ici on apprend à travailler différement
On voit régulièrement arriver des patientes en travail, sans aucun suivi de grossesse. Et pour cause, l’accès aux soins à Mayotte est réduit. Avec seulement deux obstétriciens libéraux sur l’île, la quasi-totalité des femmes enceintes est suivie par des sages-femmes. Le nombre de PMI à Mayotte est insuffisant pour couvrir l’ensemble du suivi des femmes qui, sans sécurité sociale, ne peuvent accéder aux consultations avec des sages-femmes libérales.
Pour les femmes non véhiculées et qui parfois n’ont même pas les moyens de prendre un taxi, l’accès à la maternité est d’autant plus compliqué. Le manque de moyens touche de plein fouet la majorité des patientes. Environ 70 % des femmes qui viennent accoucher à l’hôpital de Mayotte sont en situation irrégulière (3). Fuyant les îles voisines de l’archipel des Comores, beaucoup arrivent à bord de frêles bateaux, appelés kwassa-kwassa.
chaque année, nombreuses périssent au cours de cette dangereuse traversée. Quand les familles parviennent à accoster, leur situation sanitaire et sociale est déplorable.
Comment élever ses enfants en sécurité quand on vit dans des bidonvilles ? Comment équilibrer un diabète ou palier des carences lorsqu’on est malnutri ? Comment réaliser les soins postopératoires d’une cicatrice de césarienne, sans accès à l’eau courante ? Comment vivre sereinement quand on est sans papier ? Peut-être dans l’espoir qu’en naissant sur le sol français, un jour leurs enfants seront français.
Mais en réalité, pour certains cela est perçu comme un abus du droit du sol
L’immigration massive dont Mayotte est victime depuis des années ne cesse d’accroître. L’insécurité grandissante effraie la population.
Depuis le 19 février dernier, un mouvement de contestation populaire secoue le département. En signe de contestation contre l’insécurité, des émeutes et barrages ont paralysé l’île jusqu’au 6 avril. La libre circulation de la population a été entravée.
De nombreuses femmes ont été bloquées par ces points de rassemblement et n’ont pu se rendre en consultation, même d’urgence. Les pompiers et ambulanciers transportant nos patients ont rencontré des difficultés pour se déplacer et ont parfois été victimes de « caillassages ».
Dans la maternité du centre de l’île, nous avons parfois été contraints de limiter nos trajets en restant sur place durant 48 heures. Nous avons effectué un nombre d’heures supplémentaires conséquent, en attendant que nos relèves arrivent à passer les barrages. En fait, petit à petit, certains grévistes s’étaient même mis à bloquer les professionnels de santé du centre hospitalier, pour les punir de « soigner les étrangers ».
Mais j’ai choisi ce métier dans le but de soigner chaque personne sans distinction. Et même s’il est urgent de lutter contre la délinquance et l’insécurité à Mayotte, il me tient à cœur de rappeler que les disparités sociales ne devraient jamais entraver l’accès aux soins. La santé n’a pas de prix. Donner la vie n’a pas de prix.
Depuis quelques jours, les tensions se sont apaisées, mais la grève se poursuit. Les négociations entre l’intersyndicale, le Collectif des citoyens de Mayotte et le gouvernement sont toujours en cours. A ce jour, il est difficile d’imaginer de quelle manière la situation va évoluer. Sur le plan sanitaire, le gouvernement réfléchit à la mise en place d’un statut d’extraterritorialité pour la maternité de Mayotte.
Actuellement, le code civil reconnait le droit du sol sur le territoire français. Il permet qu’un enfant né en France de parents étrangers soit immédiatement français lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né (article 19-3).
Si ce n’est pas le cas, l’article 21-7 prévoit qu’il acquière la nationalité française à sa majorité, à condition qu’il ait résidé en France pendant au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans.
Ce changement de statut pour l’heure discuté, pourrait limiter la possibilité d’obtenir la nationalité française en naissant dans le département.
Quoiqu’il en soit, même dans les conditions de travail actuelles, la reconnaissance des patientes finit toujours par récompenser nos dures journées de travail. Etre sage-femme à Mayotte est une expérience humaine qui change la vie, et nous change à vie.
Bibliographie :
1 Mayotte 1ère, Nouveau record de naissances à Mayotte en 2017
2 Sébastien Merceron, Insee, Naissances 2016 à Mayotte, une natalité record, août 2017
3 CHM, Rapport d'activité 2002 ; 2003
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