Parole de sages-femmes a rencontré Narjes Shiraghaei, sage-femme en Iran. Elle raconte son parcours, les conditions de travail dans ce pays du Golfe persique.
Pourriez-vous vous présenter, décrire votre parcours professionnel?
Je travaille en tant que formatrice et consultante sage-femme en gynécologie-obstétrique en Iran depuis 2007. Mon travail est basé sur l’ «Evidence Based Midwifery». Les sages-femmes me connaissent en tant qu’auteure du livre « Is it safe in pregnancy ? ", traduit en langue persane et il est le premier du genre ayant reçu des éloges de mamans et collègues. J’ai écrit quelques articles pour des revues médicales, participé en tant que conférencière à des événements médicaux.
J'ai mon propre site web: www.shianeh.com, en persan, traitant de la santé des femmes et des soins prénataux, de ce qu'une femme devrait savoir sur elle-même, sur les faits scientifiques et médicaux.
Ma passion pour l'amélioration de la santé des femmes en Iran m'a poussée à exercer sur le terrain pendant 10 ans. J’ai eu l’occasion d’aider de nombreuses femmes et familles en organisant des ateliers de prévention pour la santé et d'éducation sexuelle. J’en ai fait un véritable défi, je suis déterminée à poursuivre ces actions pour aider encore les femmes iraniennes et sensibiliser toute la population.
Quelle est la formation pour devenir sage-femme en Iran?
L'enseignement universitaire de sage-femme en Iran remonte à 96 ans. Actuellement en Iran, les femmes souhaitant devenir sage-femme doivent passer l'examen d'entrée à l'université et seules les femmes peuvent se présenter. Il faut 4 ans pour obtenir un diplôme de sage-femme (135 unités en 8 semestres). Les universités iraniennes acceptent de 1150 à 1250 étudiants par année pour obtenir la licence et plus de 110 pour entreprendre une maîtrise. Des améliorations futures permettront de suivre des cours pour obtenir un doctorat.
Quelles sont les conditions de travail à l'hôpital?
Dans les hôpitaux publics, la durée de travail est de 44 heures par semaine. À l'heure actuelle, une problématique persiste, la plupart des maternités iraniennes, publiques ou privées, sont incapables de gérer le travail physiologique comme elles le devraient. Ceci entraîne des interventions inutiles de la part des médecins, qui au moindre signe de complications sont prêts à stopper le processus d’accouchement, de peur de poursuites en cas d’incident. Mais les choses sont en train de changer, grâce à une prise de conscience des femmes iraniennes qui jusque-là demandaient une césarienne tant elles redoutaient la douleur et les séquelles physiques d’un accouchement voie basse. Les sages-femmes doivent d’ailleurs travailler en ce sens pour réduite le taux de césarienne.
Malheureusement, nous avons beaucoup de sages-femmes au chômage en Iran. Par contre, nous n’avons pas la possibilité d’exporter nos talents à l’étranger, à cause des problèmes politiques. En effet, malgré nos études approfondies qui nous permettraient d’occuper des postes qualifiés, les tensions politiques nous interdisent de disposer de visa pour exercer dans des pays de l’Union Européenne, mais également dans les pays du Golfe persique. Dans ces pays frontaliers, ils emploient des sages-femmes étrangères ayant une formation très courte, parfois de pays assez lointains mais surtout pas d’iraniennes, nous n’avons donc pas d’autre choix que de subir ! Je pense que le soutien d’associations, comme l’ICM (International Confederation of Midwives ), nous serait bénéfique pour nous aider à améliorer les conditions de travail des sages-femmes en Iran.
Quelles sont les différents modes d’exercice en Iran?
Les sages-femmes ont une connaissance approfondie des maladies des femmes et des diagnostics différentiels, elles sont aptes à gérer les situations d'urgence. Différentes possibilités permettent d’exercer ; Les sages-femmes peuvent travailler dans les centres médicaux gérés par le ministère de la Santé où elles s'occupent des femmes enceintes, des soins postnataux et des soins aux jeunes enfants.
Elles exerçaient aussi autrefois en planning familial, aboli avec la nouvelle politique gouvernementale* . Elles ont aussi la possibilité d’enseigner à l’université, dans des hôpitaux universitaires ou dans les centres de formation. Elles peuvent être employées en tant que sage-femme ou expertes médicales en milieu hospitalier, en tant qu'infirmière dans une maternité ou dans un bloc opératoire spécifique aux femmes. Des sages-femmes exercent aussi dans les centres d'infertilité et les centres de recherche.
Existe-t-il des sages-femmes indépendantes en Iran? Pouvez-vous en dire plus sur cette activité ?
Les sages-femmes iraniennes ont la possibilité d’exercer en libéral mais les conditions de travail ne sont pas idéales. De nombreuses sages-femmes louent des bureaux privés pour proposer des consultations aux femmes enceintes, pour prodiguer des conseils sur la santé, la sexualité ... Mais les loyers de ces locaux privés sont couteux, générant de faibles revenus pour les sages-femmes. Il y a des contradictions dans la définition des droits et devoirs associés à la profession. Les sages-femmes doivent également se former tout au long de leur carrière, ce qui est aussi onéreux. Malheureusement, le gouvernement n'a pas été en mesure de leur offrir des opportunités conformes à leurs capacités.
Une remarque, réflexion concernant les sages-femmes ?
Je crois fermement qu'une plus grande communication avec les sages-femmes dans le monde est absolument essentielle à la profession. À mon avis, si mes collègues peuvent entendre les expériences d’autres sages-femmes, demander leurs opinions, elles pourraient se servir de ces échanges pour améliorer leurs pratiques. Et puis cela permettrait de créer un lien en leur permettant de se sentir moins seules ! Le métier de sage-femme est basé sur la science, mais c'est aussi un art; Il faut de la passion! Les sages-femmes sont mères de toutes les races humaines!
*NDLR : suite à la baisse de la natalité dans les 90 - période durant laquelle les hommes et les femmes devaient suivre des classes leur enseignant la contraception avant de pouvoir obtenir un certificat de mariage, où les préservatifs étaient gratuits dans les cliniques et hôpitaux de tout le pays et les pilules contraceptives largement disponibles dans toutes les pharmacies d'Iran- en 2010 le président de la république, pour relancer la natalité, décide de supprimer le financement par l’Etat du programme de planning familial qui avaient permis jusque-là à des millions de femmes d’accéder aux contraceptions modernes et à coût réduit. Il interdit aussi en 2014 les formes de contraception permanente.