Avec des conséquences sur la grossesse, la santé bucco-dentaire de la femme enceinte mérite une attention particulière. Le point avec Julie Jouenne, sage-femme.
La grossesse favorise certaines maladies bucco-dentaires
Les femmes enceintes présentent une diminution du pH salivaire entrainant une réduction du pouvoir tampon de la salive [1]. Ces manifestations s’aggravent en cas de nausées, de reflux gastro-œsophagiens (RGO) et/ou des vomissements. Les muqueuses sont aussi plus sensibles du fait de l’imprégnation œstroprogestative des tissus, induisant une augmentation de la perméabilité vasculaire.
Ces facteurs favorisent ainsi le développement de la flore microbienne pathogène et donc des maladies parodontales ainsi que des caries dentaires [2, 3].
Les maladies bucco-dentaires sont aussi favorisées par la fragmentation des repas et l’hygiène, rendue plus difficile du fait des saignements et/ou d’œdèmes gingivaux.
Quelles sont ces maladies bucco-dentaires et leurs conséquences ?
Les maladies bucco-dentaires regroupent les maladies parodontales (la gingivite gravidique, la parodontite et l’épulis gravidique) et les maladies dentaires (l’érosion dentaire et la carie).
La gingivite gravidique : C’est une inflammation de la gencive qui toucherait 35 à 100% des femmes enceintes [4]. Elle se reconnait par des saignements provoqués ou spontanés non douloureux. Elle apparait au 2e mois de la grossesse et va progresser jusqu’à atteindre un pic au 8e mois.
En général, elle disparait après l’accouchement. Une gingivite non traitée peut évoluer en parodontite. Elle se définit par des lésions inflammatoires entraînant la destruction des tissus de soutien de la dent, appelés parodonte. La perte d’attache est irréversible, mais très rarement constatée au cours d’une grossesse.L’épulis gravidique : C’est un nodule de consistance molle, d’aspect rouge vif, situé sur le bord libre de la gencive ou de la papille interdentaire pouvant saigner au moindre contact et peu douloureux.
Cela survient dans 5% des grossesses et disparait spontanément après l’accouchement [5]. Son exérèse est possible s’il entraîne une gêne esthétique et/ou fonctionnelle mais celui-ci n’entraine pas de complications obstétricales.L’érosion dentaire : C’est une dissolution des tissus minéralisés sous l’action de substances chimiques. Concernant la femme enceinte, cette dissolution est provoquée par les vomissements, nausées, RGO et aussi la consommation d’aliments trop acides. Pour prévenir ce phénomène, il est conseillé d’éviter le brossage dentaire après un vomissement ou un RGO pendant au moins 15 minutes, le temps que la salive effectue son pouvoir tampon. Il est préconisé d’utiliser un bain de bouche et d’éviter la consommation d’aliments trop acides (sodas, agrumes) [6, 7]. L’absorption d’un verre d’eau peut également aider à rétablir plus rapidement le pouvoir tampon.
La carie : Son origine est bactérienne, son étiologie est multifactorielle et sans traitement elle aboutit à la destruction totale de la dent [8, 9, 10]. C’est une maladie chronique qui se développe dans le temps. L’hôte a son rôle à jouer.
Ainsi, la grossesse, avec la diminution du pH salivaire et les RGO, entraine une fragilisation plus importante des dents [11]. La carie serait une maladie transmissible de façon « verticale », il est donc important de traiter la mère pour éviter la transmission à l’enfant [12, 13]. Enfin, les comportements inadaptés tels que le manque d’hygiène bucco-dentaire, l’observance insuffisante des recommandations du dentiste, le manquement aux visites de suivi et les mauvaises habitudes alimentaires sont autant de facteurs augmentant le risque carieux [11].
Son incidence est très élevée puisqu’une étude de l’INSERM de 2006 a montré que plus de la moitié des femmes sortaient de maternité avec au moins une carie dentaire [14].
Depuis une quinzaine d’années, de nombreuses études ont prouvé que les infections bucco-dentaires non traitées constituaient un facteur de risque potentiel pour des complications de type accouchement prématuré, naissance de bébé de faible poids ou encore pré-éclampsie [15-20].
Peux- t-on soigner tout type de pathologies pendant la grossesse ?
Il est important de prendrequelques précautions particulières lors des soins, à savoir, la position demi-assise plutôt que le décubitus dorsal strict à cause du syndrome cave. Il faut également rassurer la patiente et réduire la durée des soins, dans la mesure du possible. En cas de radiographie, l’utilisation d’un tablier de plomb est impérative.
Quasiment tous les soins bucco-dentaires sont possibles pendant la grossesse et même recommandés par la HAS pour éviter toutes complications. Ils se réaliseront surtout entre le 4ème et le 7ème mois.
Au 1er trimestre, période où le risque tératogène est maximal, les traitements se limiteront aux soins indispensables mais sans différer ce qui pourrait évoluer de façon péjorative (notamment les foyers infectieux).
Au 3ème trimestre, les soins urgents seront traités afin d’éviter l’inconfort de la patiente [21, 22, 23].
Le seul soin contre-indiqué est la pose et le retrait d’amalgame dentaire à cause de la toxicité du mercure pour le cerveau du fœtus [24].
Et les anesthésies peuvent se réaliser sans risque obstétrical.
Julie Jouenne est l’auteure du mémoire de fin d’études « Un enfant, une dent ? Qu’en est-il de cet adage populaire ? Enquête auprès des chirurgiens-dentistes de Haute-Normandie » (primé au Grand Prix Evian 2016).
Références :
1. Laine M, Tenovuo J, Lehtonen OP. Pregnancy related changes in human whole saliva. Arch Oral Biol 1988;33:913-7.
2. Acharya Lieff S, Boggess KA, Murtha AP, Jared H, Madianos PN, Moss K, et al. The oral conditions and pregnancy study : peridontal status of a cohort of pregnant women. J Periodontol 2004;75(1):116-26.
3. Acharya S, Bhat PV. Factors affecting oral health-related quality of life among pregnant women. Int J Dent Hygiene 2009;7:102-7.
4. Bouchard P. Parodontologie et Dentisterie implantaire. In : Volume 1- Médecine parodontale. Paris : Lavoisier Médecine Sciences ; 2015.
5. Hunter L, Hunter B. Oral and dental problems associated with pregnancy. Oral healthcare in pregnancy and infancy. London : MacMilan Press Ltd:1997:27-34.
6. Lequart C. Une prise en charge attentive. Dentiste Mag, 2006;3:26-30.
7. El Merini H, Jabri M, Aggouri L. Les soins dentaires chez la femme enceinte. Le courrier du dentiste [En ligne]. 2013 Mai [Consulté le 20 juin 2015]. Consultable à l'URL: http://www.lecourrierdudentiste.com/dossiers-du-mois/les-soins-dentaires-chez-lafemme-enceinte
8. Dentraid, L’humanitaire à Garancière. La carie. Keske c ? Comment se soigner ? Conseil général du Val-de-Marne. M’T dents. Plaquette de prévention santé bucco-dentaire : comment bien prendre soin de ses dents ?
9. Newbrun E. Cariology. Baltimore : Williams and Wilkins 1978:289p.
10. Fejerskov O, Kidd EA. Dental caries : the disease and its clinical management. Copenhagen : Blackwell-Monksgaard 2003.
11. Lupi-Pégurier L, Bourgeois D, Muller-Bolla M. Épidémiologie de la carie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine buccale,28-260-D-10,2009.
12. Van Ruyven FO, Lingström P, Van Houte J, Kent R. Relationship among mutans streptococci, « low-pH » bacteria, and lodophilic polysaccharide-producting bacteria in dental plaque and early enamel caries in humans. J Dent Res 2000;79:778-84.
13. Seki M, Karakama F, Terajima T, Ichikawa Y, Ozaki T, Yoshida S, et al. Evaluation of mutans streptococci in plaque and saliva : correlation with caries developpement in preschool children. J Dent 2003;31:283-90.
14. Vergnes JN, Kaminski M, Lelong N, Musset AM, Sixou M, Nabet C. Frequency and Risk Indicators of Tooth Decay among Pregnant Women in France: A Cross- Sectional Analysis. PLoS ONE 2012;7(5):e33296.
15. Heimonen A, Janket SJ, Kaaja R, et al. Oral inflammatory burden and preterm birth. J Periodontol 2009;80(6):884-91.
16.Wrosek T, Einarson A. Dental care during pregnancy. Can Fam Physician 2009;55(6):598-9.
17. Agueda A, Echeverria A, Manau C. Association between periodontitis in pregnancy and preterm or low birth weight : review of the literature. Med Oral Patol oral Cir Bucal 2008;13(9):E609-15.
18. Ruma M, Bogess K, Moss K, et al. Maternal periodontoal disease, systemic inflammation, and risk for preeclampsia. Am J Obstet Gynecol 2008;198(4):389. e1-e5.
19. Conde-Agudela A, Villar J, Lindheimer M. Maternal Infection and risk of preeclampsia : systematic review and meta-analysis. Am J Obstet Gynecol 2008;198(1):7-22.
20. Siqueira FM, Cota LOM, Costa JE, et al. Maternal periodontitis as a potential risk variable for preeclampsia : a case-control study. J periodontol 2008;79(2):207-15.
21. Patcas R, Schmidlin PR, Zimmermann R, Gnoinski W. Le suivi dentaire des femmes enceintes. Dix questions et réponses. Rev Mens Suisse Odontostomatol 2012;122:735-9.
22. Bauser A. La femme enceinte au cabinet dentaire. Formation médico-dentaire continue. Inf Dent 2000;82:1-12.
23. Luc E, Coulibaly N, Demoersman J, Boutigny H, Soueidan A. Enquête sur la prise en charge de la femme enceinte au cabinet dentaire. Rev Mens Suisse Odonstomatol 2012;122:1047-55.
24. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Recommandations : rapport amalgames dentaires :2005 : 2p.
CRAT : Centre de Référence sur les Agents Tératogènes. lecrat.fr