Les sages-femmes ne sont pas à l’abri d’une plainte au cours de leur carrière. Le risque médico-légal fait partie intégrante de la profession. Un risque qui rappelle qu’exigence et rigueur sont de mise dans l’exercice de sa pratique.
Par Clémence Nielly, sage-femme à l’Hôpital Lariboisière.
Grossesse, parentalité : vers un changement de paradigme
La parentalité a évolué ces dernières décennies. Depuis la légalisation de la contraception et de l’IVG, les couples sont maîtres de leur fertilité et les grossesses menées à terme sont le plus souvent désirées. Parallèlement, le recul de l’âge de la première grossesse et l’augmentation des troubles de la fertilité rendent certaines grossesses encore plus attendues. Les progrès en matière de diagnostic anténatal et médecine fœtale ont augmenté l’exigence des parents quant à la santé de leur futur enfant. Lorsque le nouveau-né présente des caractéristiques inattendues (malformation non vue à l’échographie par exemple), ou qu’un accident se produit au moment de l’accouchement, une faute est souvent recherchée du côté des soignants. Le temps du paternalisme médical est loin, les patientes sont actrices dans leur prise en charge. Certains auteurs les décrivent même comme des « clientes » de soin, qui attendent un certain résultat. La notion d’aléa est difficile à entendre.
L'obstétrique : une discipline à risque
Il n’existe pas de chiffres mis à disposition par les différentes juridictions sur la fréquence des procédures en obstétrique, mais si on consulte les données des compagnies d’assurance, on constate que les sages-femmes et les obstétriciens font partie des dix corps de métier le plus souvent condamnés et dont les coûts des indemnisations judiciaires sont les plus élevés (en moyenne quatre fois plus).
Les sages-femmes face à diverses responsabilités
Le risque médico-légal fait partie de la profession de sage-femme. Celle-ci a plusieurs responsabilités qui peuvent être engagées simultanément. Une sage-femme peut être impliquée dans une procédure devant les juridictions civiles ou administratives (selon son mode d’exercice). En cas de condamnation, une indemnité devra être versée. D’autre part, la sage-femme peut voir sa responsabilité pénale engagée ce qui l’expose à des sanctions personnelles : peine de prison, amende. Elle est aussi soumise à une responsabilité disciplinaire devant l’Ordre des sages-femmes. En cas de manquement au code de déontologie, les sanctions encourues sont l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire d’exercer, voire la radiation du tableau de l’Ordre.
La sage-femme peut également être impliquée dans une procédure n’engageant pas directement sa responsabilité, mais questionnant sa pratique : médiation au sein d’une Commission des Usagers (CDU), conciliation auprès d’une Commission de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux (CCI).
Quels impacts sur la vie professionnelle après une procédure judiciaire ?
Dans mon travail de fin d’études*, j’ai interrogé des sages-femmes impliquées dans des procédures judiciaires ou ordinales. Cet évènement a été perçu comme douloureux. Pour certaines, c’était un véritable « traumatisme ». Leurs compétences ont été remises en question, et ce, aux yeux de leurs pairs.
Les impacts sur leur vie professionnelle sont multiples. Tout d’abord, concernant leur carrière, plusieurs sages-femmes ont arrêté d’exercer totalement, en général à cause d’une sanction ordinale. Par ailleurs, pour celles qui exercent encore, l’expérience d’une procédure les a rendues plus rigoureuses et vigilantes dans leur pratique au quotidien : tenue des dossiers médicaux, prescription d’examens complémentaires selon les recommandations, appel plus fréquent du médecin. Enfin, des conséquences relationnelles ont été remarquées telles qu’une meilleure communication avec les patientes ou au contraire des rapports plus méfiants.
Les impacts sur la vie personnelle sont nombreux aussi : vie familiale, répercussions financières, altération de la santé psychologique ou même physique.
Respecter les limites de notre champ de compétence
Pour prévenir un litige, quelques points clés, qui semblent évidents, mais qui ne sont pas toujours appliqués : bien respecter les limites de notre champ de compétence, veiller à la traçabilité exhaustive de nos soins, dispenser une information claire aux patientes.
La majorité des sages-femmes ressentent une « pression médico-légale » dans l’exercice de leurs fonctions. Elles sont conscientes qu’elles peuvent être poursuivies en justice, mais ne connaissent pas bien les modalités des procédures ni les sanctions. Une information clarifiée sur la réalité d’une procédure et sur la prévention des litiges semble souhaitable, que ce soit dans les écoles de sages-femmes, en formation continue ou dans les instances ordinales.
Pour autant, travailler dans la peur – bien que cela puisse parfois encourager la prudence et la rigueur – est souvent source de stress et de perte de confiance. Gardons à l’esprit que l’objectif premier de toute sage-femme n’est pas d’éviter une plainte, mais de pratiquer son art avec un souci d’exigence, et avec une réelle qualité de communication avec ses patientes.
Référence :
*Retentissements sur la vie professionnelle des sages-femmes d’une procédure mettant en cause leur pratique médicale – mémoire en vue de l’obtention du diplôme d’état de sage-femme promotion 2019 – Clémence Nielly - Université Paris-Descartes –Ecole de sage-femme de Baudelocque