Non recommandée systématiquement, «aucun essai randomisé n’a évalué la rééducation périnéale chez des femmes asymptomatiques dans le but de prévenir une incontinence urinaire ou anale à moyen ou long terme », avance le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), à l’occasion des dernières recommandations pour la pratique clinique (RPC) sur le post-partum.
Nous avons demandé à Anne Battut, (membre du conseil d’administration du Collège National des Sages-Femmes de France, membre du groupe de travail RPC CNGOF Post-Partum 2015) et Nicolas Dutriaux, (secrétaire du Collège National des Sages-Femmes de France) de préciser certains points.
Que doit-on comprendre ?
Tout d’abord, il est important de bien comprendre la formulation des recommandations : « Il est recommandé de faire… » signifie que la littérature a démontré que faire ce geste a diminué des risques identifiés ; il faut donc faire ce geste dans la mesure du possible ; « Il n’est pas recommandé de faire… » signifie que la littérature n’a pas démontré que faire ce geste a diminué des risques identifiés ; il n’est donc pas nécessaire de faire ce geste systématiquement. Mais il n’est pas interdit de le faire. « Il est recommandé de ne pas faire… » signifie que la littérature a démontré que faire ce geste augmente des risques identifiés ; il faut donc éviter de faire ce geste.
Des études fiables?
Ensuite, sur la question de la rééducation postnatale, de nombreux points ont fait l’objet d’un faible niveau de preuve (NP4 ou accord professionnel) : c'est-à-dire que les études retrouvées sur ces questions présentent des faibles niveaux de preuve et présentent de nombreuses zones d’incertitude. Enfin, concernant les études sur lesquelles la revue de la littérature s’est appuyée, nombre de ces données proviennent de la littérature étrangère (Canada, Suède, Norvège, Nouvelle Zélande, Royaume Uni…) démontrant le retard pris par notre pays quant à ces questions ; ce que nous regrettons. Les protocoles d’étude retrouvés dans la littérature internationale sont souvent bien éloignés des protocoles français : rythmicité des séances [souvent mensuelles], modalités des séances [individuelles ou en groupe ou par coaching téléphonique], présence ou non d’un thérapeute, stratégie thérapeutique. Là encore, le manque d’études françaises en lien avec notre pratique spécifique et unique au monde est criant. Elles sont pourtant nécessaires ! Cette absence de preuves pouvant confirmer ou renforcer notre pratique le démontre.
Quel discours tenir auprès des patientes ?
Concernant les femmes symptomatiques, la rééducation périnéale démontre son efficacité avec des niveaux de preuve suffisants bien que les effets n’aient été étudiés que sur des périodes assez courtes (1 à 6 ans maximum). Concernant les femmes asymptomatiques sur le plan urinaire, le manque de données probantes amène à conclure que celle-ci n’est pas recommandée.
Prenons pour exemple 2 recommandations: « La rééducation périnéale chez les femmes asymptomatiques à 3 mois n’est pas recommandée ». Tout d’abord, cela signifie que la littérature n’a pas démontré que faire ce geste a diminué des risques identifiés ; il n’est donc pas nécessaire de faire ce geste systématiquement. Mais il n’est pas interdit de le faire. Ensuite, cette recommandation présente un très faible niveau de preuve : « accord professionnel » : aucun essai s’intéressant spécifiquement à des femmes asymptomatiques n’a été retrouvé ; cette recommandation s’appuie sur des groupes de femmes symptomatiques et asymptomatiques. Les sages-femmes ont notamment à cœur d’être dans une démarche préventive avant d’être curative. L’éducation périnéale n’étant pas accessibles à une autre période de la vie des femmes, celles-ci doivent donc pouvoir continuer à en bénéficier à l’issue de leur accouchement si elles en font la demande. « La rééducation périnéale du post-partum n’est pas recommandée pour traiter ou prévenir des dyspareunies »(Grade C), tout d’abord, cette recommandation présente un faible niveau de preuve. Cela signifie donc qu’il n’y a pas d’arguments suffisants au regard des données de la littérature pour conclure sur son intérêt pour la prise en charge des douleurs périnéales et dyspareunies. Enfin, les protocoles d’étude présentent une hétérogénéité rendant les interprétations limitées en termes de stratégies thérapeutiques. Il n’est donc pas non plus interdit de proposer une prise en charge par rééducation périnéale dans cette indication. Simplement celle-ci n’a été que peu ou pas étudiée et donc publiée. Les professionnels de santé ne peuvent cependant rester sourds à une plainte de leurs patientes. Si la prise en charge améliore le ressenti de la femme et qu’elle constate une amélioration ou une disparition des douleurs périnéales et des dyspareunies à la suite des séances, c’est que cette proposition était justifiée. En cas d’échec, d’autres investigations et thérapeutiques plus complexes (et donc souvent plus chères pour la collectivité) seront bien évidemment nécessaires.
Quelle place donnée à la prévention ?
Même si l’intérêt de la rééducation dans le post-partum immédiat n’a pas pu être mis en évidence par l’analyse de la littérature internationale, il nous semble très probable qu’une prévention et une éducation périnéales pour protéger son périnée tout au long de sa vie (y compris chez les nullipares) soit bénéfique. En effet, cette éducation périnéale fait partie intégrante, voire est la première étape indispensable, des séances de rééducation chez les femmes symptomatiques à tous les âges de la vie et quelle que soit la cause à l’origine de ces symptômes. Combien de femmes ont une connaissance de leur périnée ? Quelles sont celles qui ont conscience des situations quotidiennes pouvant être délétères ou bénéfiques ? Ou celles qui savent comment le préserver au quotidien ? Cette prise de conscience et cette éducation périnéales peuvent être réalisées par les sages-femmes (soit lors de consultation gynécologique y compris chez les femmes nullipares, soit au cours de séances de rééducation périnéale chez les femmes à la suite d’un accouchement conformément à a législation actuelle), soit par les kinésithérapeutes (au cours de séances de rééducations, chez les hommes ; comme chez les femmes, ayant accouché ou non, et présentant des troubles de la statique pelvienne ou des dysfonctionnements sphinctériens qu’ils soient consécutifs à un accouchement ou pas). Le CNSF regrette la faible part donnée à la prévention en général, et à l’’éducation périnéale en particulier. Pour exemple, la rééducation périnéale peut présenter un impact positif en termes de santé sexuelle dans le post-partum : améliorations significatives concernant l’excitation sexuelle, la lubrification, l’orgasme, les échelles de satisfaction ou l’augmentation de la force des muscles du plancher pelvien (NP3). Or, les sages-femmes sont reconnues par les agences nationales, comme l’agence Santé Publique France (anciennement INPES) par exemple, pour être à l’avant-garde des questions de santé sexuelle des femmes. Ces séances permettent également aux sages-femmes rééducatrices de dépister d’éventuelles difficultés maternelles à l’origine des troubles psychiques du post-partum. Elles peuvent alors assurer l’accompagnement spécifique dans la continuité du suivi de grossesse, de la surveillance du travail et de l’accouchement, et de ses suites. Ces séances deviennent alors un temps d’’orientation, si nécessaire, vers une prise en charge adaptée.
En conclusion
La transposition clinique des études est bien évidemment à la base de l’art des cliniciens. Toutefois, il est donc nécessaire pour ne pas dire primordial d’évaluer nos pratiques françaises spécifiques (des séances prises en charge par l’Assurance maternité pour chaque femme ayant accouché). La France a une expertise dans le domaine de la rééducation périnéale ; encore faudrait-il qu’elle puisse l’évaluer pour publier et donc pour la faire reconnaître. Ces RPC ont donc mis l’accent sur le fait qu’il est devenu urgent d’évaluer nos pratiques professionnelles. Il pourrait donc être dommageable que l’absence de recherche conduise à diminuer la réalisation de ces séances en post-partum. C’est donc peut-être une occasion pour les médecins, les sages-femmes et les kinésithérapeutes pour travailler ensemble afin de réaliser ces études qui font tant défaut !
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