Naissance physiologique, capacité des femmes à enfanter, le documentaire « FAUT PAS POUSSER ! » remet en question les pratiques actuelles et propose une autre vision de l’accouchement.
Sylvie Fradi alias Nina Narre, dans une enquête de presque 3 heures, met en lumière une réalité de naissance encore mal connue, celle d’un accouchement non médicalisé.
Alors que certains pourraient frémir rien qu’en entendant accouchement à domicile sous l'acronyme « AAD », il est bon de rester ouvert d’esprit en écoutant les femmes, en prenant conscience de leurs capacités, et en prenant connaissance des données scientifiques et des pratiques d’autres pays.
Sylvie Fradi interroge des spécialistes de la naissance, gynécologues-obstériciens et sages-femmes tout au long de ce documentaire. Si certains sont convaincus qu’il est favorable que les femmes accouchent en structure, d’autres sont plus attentifs au projet d’accouchement des femmes et ne réfutent pas en bloc celui d’un accouchement non médicalisé voire celui d’un AAD. Ces derniers seraient-ils inconscients ?
Un peu d’histoire…
Marie-France Morel, historienne spécialiste de la naissance et présidente de la Société d’histoire de la naissance, relate dans une interview que les années 60 ont donné lieu à une évolution fulgurante. Après la généralisation de la Sécurité sociale et la prise en charge de l’accouchement, les femmes ont été attirées par l’hôpital. Il n’était plus le lieu des pauvres et des asociaux, mais celui de la technicité. Les femmes étaient fières d’accoucher à l’hôpital et d’être traitées comme à l’hôtel.
L’avènement de la péridurale, dans les années 1970, a lui aussi été vu comme une émancipation pour les femmes, une façon de se libérer de la biologie, de la douleur d’un accouchement. Mais aujourd’hui, l’émancipation des femmes se place vers un autre point celui de se libérer de la médicalisation.
Apprendre à repenser la naissance
À s’être trop laissé gagner par la médicalisation, les femmes ont perdu confiance en leur capacité. Le discours normatif autour de la naissance apeure les futures mères et les laisse penser qu’elles sont incapables d’accoucher sans péridurale. Pourtant, si une gynécologue interrogée pense qu’il n’est pas utile de challenger tout le temps les femmes et que transcender la douleur n’est pas instinctif, une autre rappelle que la douleur de l’accouchement a un sens et celle-ci prend fin quand le bébé né.
Ces divers points de vue montrent bien que toutes les femmes n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes envies…mais contrer la dérive de la médicalisation ne doit pas entrainer pour autant une dérive en matière de prise de risque.
Accoucher – presque – à la maison
Il y a des lieux en France, où il est possible d’accoucher dans le total respect de la physiologie. Sylvie Fradi a posé sa caméra à la maternité des Lilas, crée en 1964 par les disciples du Dr Lamaze – connu pour la méthode de l’accouchement sans douleur . Ici, on compte 73% de péridurale contre 88% pour la moyenne nationale et 15% de césarienne contre 20% à l’échelle du pays. Une sage-femme qui exerce dans cette maternité emblématique depuis peu de temps confie que
« c’est gratifiant d’apporter aux femmes plus que des soins médicaux (…).Ici elles se sont plus rappelées de mon nom, j’avais l’impression d’être quelqu’un au moins pour elles. Cela fait partie des raisons pour lesquelles on fait ce métier, alors que dans un grand centre elles n’ont pas l’impression d’avoir crée particulièrement de liens ».
Finalement remettre la physiologie au cœur de la naissance ne rimerait-il pas avec donner plus de sens à la profession ?
Il y a aussi l’exemple d’une maison de naissance, à Villefrance, nichée au cœur d’une maternité. Le taux de césarienne est ici de 3%, celui d’épisiotomie de 0%.
Pour que les femmes puissent accoucher dans ce lieu, leur grossesse doit être physiologique (pas d’hypertension artérielle, de siège, de grossesse multiple, de diabète insulinodépendant, pas d’antécédent grave d’hémorragie de la délivrance). Si l'on enlève 30% des femmes qui basculent côté maternité pour besoin de péridurale, de césarienne, les 70% restantes sont des femmes présentant un bas risque avec un travail normal. Environ 500 femmes par an accouchent sans intervention médicale dans cette maternité.
Accouchement physiologique en maternité
Le documentaire nous apprend qu’environ une femme sur cinq qui accouche en maternité souhaite vivre un accouchement naturel. Mais dans un cas sur deux ce projet sera refusé par l’équipe médicale pour des raisons multiples : diabète insulinodépendant, hypertension, utérus cicatriciel, surpoids, grossesse gémellaire, présentation en siège, macrosomie, rupture prématurée des membranes, antécédent d’hémorragie, âge de la mère, dépassement de terme. Seuls 10% des femmes accéderont au pôle physiologique de leur maternité (salle nature ou maison de naissance), 30% d’entre elles auront recours à la péridurale, c’est donc 7% des naissances en structure qui se feront sans assistance pharmacologique et instrumentale. Une maman en a fait l’expérience. Elle s’apprête à accoucher pour la deuxième fois sans péridurale et elle explique pourquoi. Selon elle,
« sans péridurale, on se sent tellement forte et puissante, c’était juste parfait ».
L’accouchement sans artifice selon Michel Odent
Mais pour que cette expérience puisse être vécue, n’y a-t-il pas des facteurs physiologiques à connaître ? Connu pour ses travaux sur la naissance non violente, l'obstétricien français, Michel Odent apporte lors de son interview un éclairage justement sur la physiologie. Il explique que l’accouchement est un processus involontaire qui est sous le contrôle de structures cérébrales archaïques. Il faut savoir que ce processus peut être inhibé par divers paramètres. Parmi eux, on compte tout ce qui pourrait stimuler le néocortex, c’est-à-dire le langage, la lumière, le fait de se sentir observé, de ne pas se sentir en sécurité. Le maitre mot, selon lui, est de protéger de tout ce qui pourrait gêner.
Mais la physiologie est susceptible d’être perturbée par le conditionnement culturel qui implique la domination du processus physiologique humain. Par la transmission de rituel, de croyance, on a amplifié le conditionnement qu’une femme n’était pas capable d’accoucher. Le milieu culturel a rendu de plus en plus difficile l’accouchement et plus on le rend difficile, plus on intervient …
Accoucher sans intervention médicale, accoucher à la maison
Des femmes optent pour l’accouchement à domicile et souhaitent être accompagnées par une sage-femme pour accomplir ce projet de naissance.
En France, on compte 2 000 accouchements par an (0,25% des naissances) accompagnés par seulement une centaine de sages-femmes libérales.
L’APAAD (Association Professionnelle de l'Accouchement Accompagné à Domicile) a réalisé une étude sur ce type d’accouchement avec l’INSEE. L’étude a porté sur 1 298 projets d’AAD suivis par 88 sages-femmes, en 2019.
Sur 1 298, 217 (16,72%) femmes ont été réorientées en cours de grossesse pour dépassement de terme (2,9%), rupture de la poche des eaux sans mise en travail (1,8%), accouchement prématuré (1,2%), hypertension artérielle (0,5%), portage du streptocoque B, diabète déséquilibré sous insuline, retard de croissance intra-utérin, cholestase gravidique, la pré-éclampsie…
Sur les 1 081 femmes ayant débuté leur accouchement à la maison, 147 (13,6%) ont dû être transférées pendant le travail. Parmi elles, 6 (0,5%) ont nécessité l’intervention du SAMU ou des pompiers.
Les femmes ont été transférées pour non progression de la dilatation ou de la présentation, le souhait d’une analgésie péridurale, ou bien une présentation dystocique, un liquide amniotique teinté ou une modification du rythme cardiaque fœtal.
Plus la moitié des femmes transférées ont bénéficié d’une anesthésie péridurale et 2% d'une césarienne.
Près de 69% des femmes ont pu mettre leur bébé au monde à la maison. Il y a eu 99% de délivrance naturelle, aucune situation d’urgence, 66% de périnée intact et 33% de déchirures sans gravité, moins de 1% de déchirure nécessitant une suture, aucune urgence vitale ni pour la mère ni pour le nouveau-né, un taux de transfert en post-partum de 1,29% pour les mères et 0,92% pour les nouveau-nés.Voilà des chiffres rassurants.
Ouvrir les perspectives d’une naissance respectée
Oui, certains, certaines se sentiront un peu remués après avoir vu ce documentaire, puisque c’est voir la naissance autrement. Loin de la médicalisation à tout prix, mais c’est aussi savoir en bénéficier quand cela est nécessaire, donc ne pas la diaboliser.
Accoucher à la maison ne s’adresse pas à toutes les femmes, mais à celle dont la grossesse est à bas risque, à celles qui ont cheminé pour faire ce choix et qui s’y sont préparées en amont. Accompagner la naissance à domicile ne s’adresse pas, non plus, à tous, toutes les sages-femmes. En revanche, accompagner en cohérence avec le processus physiologique de la naissance doit faire partie intégrante des compétences des sages-femmes, garant-e-s de la physiologie.
Mais favoriser la physiologie de la naissance, c’est également se heurter à quelques débats politiques, c’est bouleverser un système de santé à feu et à sang.
C’est avoir le temps d’accompagner la naissance et là, le bât blesse. On est loin du "one to one", puisque des sages-femmes accompagnent deux à trois femmes en travail simultanément. Des maternités doivent cadencer les naissances avec des déclenchements pour réguler le nombre d’accouchements quotidien.
Pour ne pas perturber le processus physiologique de la naissance, il faut une grande disponibilité des sages-femmes et des salles de naissance aussi … Une équation difficile à résoudre et pour laquelle il est urgent de trouver des solutions. Instance publique, professionnels de la périnatalité en collaboration avec les mères, il faut s’emparer de ce sujet-là pour que l’accompagnement des naissances puisse se faire en confiance et dans le respect des choix des femmes.
Pour en savoir plus sur le documentaire "FAUT PAS POUSSER !"