Des femmes désirent allaiter et pourtant une fois le bébé au sein, elles éprouvent comme du dégoût. Si l’aversion d’allaiter chez les femmes ayant subi des agressions sexuelles pendant l’enfance est documentée, il existe d’autres causes. Cet article publié dans la revue Women and Birth a tenté de mieux les comprendre.
Si la littérature scientifique dispose de plus en plus de données sur les difficultés d’allaitement (douleur, crevasse, manque d’accompagnement…), peu de recherches ciblent les émotions négatives survenant de façon inattendue pendant l’allaitement telles que des sentiments d’aversion. En effet, malgré le désir d’allaiter, des femmes éprouvent une certaine répulsion pendant l’allaitement.
Entre souhait et dégoût, l’ambivalence de nourrir au sein
Entre facteurs culturels, psychosociaux et physiologiques, les influences sur l’allaitement sont complexes. Pour mieux comprendre les expériences des femmes qui ressentent une aversion pendant l’allaitement, le présent article a analysé 5 études qualitatives. Pour synthétiser les données de ces dernières la méthode méta –ethnographie de Noblit et Hare a été utilisée. Cette méthode a été choisie pour mieux comprendre comment les femmes décrivent la répulsion ressentie pendant l’allaitement. Voilà les argumentaires rapportés par les femmes :
Un sentiment tellement fort de l’éloigner de moi
Des femmes ont ressenti de l’irritation mais en même temps de l’anxiété et de la colère, les expressions sont fortes. Des femmes déclarent : « envie de retirer mon fils immédiatement, envie de fuir », « plus jamais envie d’être touchée », l’allaitement a été pour certaines une « sensation bouleversante comme sentir des bestioles effrayantes », une expérience comme une « névralgie », « une gorge serrée, des intestins arrachés ». Des femmes ont ressenti l’aversion, même quand la tétée était terminée. Des participantes relatent la répulsion à l’allaitement pendant les menstruations « au début de mon cycle, je ressens des aversions très fortes, pendant ce temps j’ai une agitation extrême ».
Je le fais parce que c’est mieux pour mon bébé
Des femmes évoquent un conflit entre les bienfaits de l’allaitement et l’aversion ressentie au moment de la tétée. Elles ont allaité pour se rapprocher de leur bébé, elles ont poursuivi parce que c’était « meilleur pour la santé de leur enfant » sans en profiter.
Je ne pouvais pas contrôler ces sentiments
Le conflit entre désir et dégoût était perçu comme irrationnel pour certaines femmes. Des femmes ont ressenti de l’aversion alors que l’allaitement était autrefois plaisant, elles ont tout de même poursuivi pour retrouver les sensations d’avant. D’autres éprouvaient des sensations incontrôlables « j’ai une agitation extrême et parfois je veux blesser mon bébé ». L’aversion atteignait un tel niveau que des femmes ont dû mettre fin à ce mode d’alimentation.
Des femmes ayant connu dans l’enfance des agressions sexuelles ont décrit l’expérience d’aversion d’allaitement comme déclenchant des sentiments de dissociation et le souvenir traumatique, « cela m'a toujours étonné de voir à quel point une expérience d’allaitement pouvait être belle et pourtant pour moi c'était un tel traumatisme ».
Un autre type d’aversion a été identifiée chez les femmes ayant fait l’expérience du reflexe dysphorique d’éjection de lait ; elles ont ressenti un sentiment de terreur avant l’éjection de lait « j’avais juste l’impression que quelque chose de terrible venait de se passer, j’avais besoin de pleurer, pourtant rien de terrible venait de se passer ».
Les femmes incluses dans les études comprenaient que l’allaitement pouvait être difficile mais la plupart n’avaient jamais entendu parler de l’aversion pendant les tétées avant de l’expérimenter.
Je devrais pouvoir allaiter mon enfant et en profiter
Quand des femmes ont éprouvé de la répulsion à l’allaitement, elles ont ressenti de la tristesse en raison du changement inattendu de relation avec leur nourrisson, «Je veux vraiment donner de l'affection, de l'amour et des câlins, mais je ne veux peut-être pas donner le lait, alors je finis par le rejeter par inadvertance ». Des femmes avec du recul auraient préféré arrêté l’allaitement plutôt que mettre en péril la relation avec leur enfant «Honnêtement en regardant en arrière maintenant, j'aurais probablement sevré entièrement parce que pendant un bon moment notre relation était extrêmement tendu ».
Pour autant, celles qui ont arrêté d’allaiter l’ont vécu comme un soulagement mais mêlé à la tristesse de donner des biberons à leur bébé.
L’aversion de l’allaitement a renforcé la culpabilité des femmes, Les femmes ont assimilé l'échec de l'allaitement à celui de la maternité.
Je suis contente de l’avoir fait
Malgré le sentiment d’aversion des femmes ont continué à allaiter leur bébé parce que c’était « trop précieux ». Particulièrement les femmes victimes de violences sexuelles dans l’enfance ont exprimé une expérience positive, l’allaitement leur a permis de « guérir « d’un traumatisme passé. Leur auto-estime était positive, elles ont vu leur corps d’une autre façon, comme capable de grandes choses. Les répondants ont déclaré que l'allaitement était uncadeau unique qu’elles seules pouvaient offrir à leur enfant; « l’allaitement maternel est quelque chose de spécial que moi seule peux faire ».
Entre facteurs culturels, psychosociaux et physiologiques, les influences sur l’allaitement sont complexes. Cette étude originale apporte un éclairage sur un sujet peu connu. Alors soutenir les femmes allaitantes par les professionnels de la périnatalité demeure essentiel dans la promotion de l’allaitement, une question se pose quel soutien serait approprié pour ces femmes ?
Entre désir d’allaiter, aversion, culpabilité la réponse n’est pas si simple quand la relation de la dyade mère-bébé et l’estime de soi peuvent en être impactés.
Référence : Women who experience feelings of aversion while breastfeeding: A meta-ethnographic review -
Women and Birth - Volume 34, Issue 2, March 2021, Pages 128-135
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