Si la plupart des femmes enceintes savent que fumer nuit à leur santé et celle de leur bébé, il n’est pas pour autant facile de mettre fin à leur addiction.
Avec Conchita Gomez, sage-femme tabacologue, et présidente de l'Association nationale des sages-femmes tabacologues Françaises ANSFTAF à l’EPSM des Flandres.
Pourquoi conseillez-vous aux sages- femmes de toujours poser la question « fumez-vous ? » à leurs patientes ?
C’est la première chose à demander car beaucoup de femmes fumeuses n’osent pas aborder la question avec leur sage-femme ou leur gynécologue car elles ont honte. Aujourd’hui la plupart des femmes savent que fumer a un impact sur leur santé et celle de leur bébé. Malheureusement cette seule raison ne suffit pas à les aider à arrêter de fumer. Elles se sentent coupables de ne pas réussir alors qu’elles ont souvent envie d’arrêter. Il faut donc vraiment que l’ensemble du personnel soignant soit une oreille attentive pleine de bienveillance à l’égard de ces femmes.
Quelle est la première action à mener lorsque l’on accueille en consultation une femme enceinte fumeuse ?
Il faut tout de suite mesurer son niveau de dépendance. Nous disposons pour cela du test de Fagerstrom. Ce test permet en 6 questions d’obtenir une note sur 10 qui mesure la dépendance au tabac. À partir de 7/10, la dépendance est élevée. Il faut aussi mesurer le taux de monoxyde de carbone (CO) dans l’air expiré (en ppm*). Cette mesure, qui améliore la prise de conscience du degré d’intoxication pour la femme enceinte fumeuse, doit faire partie des essentiels de consultation, comme la pesée et la prise de tension artérielle. Si la qualité d’oxygénation de la future maman est mauvaise, celle du fœtus sera aussi altérée. Et nous disposons aujourd’hui d’études qui ont mis en évidence le rapport entre faible poids de naissance et taux de CO expiré par la maman.
Comment accompagnez-vous le sevrage tabagique des femmes enceintes ?
Si la femme n’a pas réussi à s’arrêter seule, et arrive en consultation, c’est sûrement car son niveau de dépendance est élevé, il faut donc absolument lui proposer un traitement nicotinique substitutif (TNS) adapté à son niveau de manque. La fumée de cigarette contient 4000 composés toxiques (des métaux lourds, du benzène, du goudron,…), alors la prise d’un traitement pendant quelques mois permet d’annuler l’intoxication aux différentes substances en ne gardant que la nicotine pour aider à gérer les pulsions à fumer.
Ensuite il faut les accompagner, c’est très important dans la réussite du sevrage. Les femmes ont 70% de chances en plus d’arrêter de fumer si elles sont accompagnées par un professionnel de santé.
Comment les femmes accueillent-elles le traitement ?
Plutôt bien, quand c’est bien expliqué et en lien avec la grossesse. Il est maintenant remboursé à 65 %. Elles ont toutes l’expérience des pulsions à fumer et des signes de manque mal vécus. Le traitement substitutif nicotinique adapté vise à supprimer les signes de manque et à apporter ainsi un confort durant la période de sevrage qui dure de quelques semaines à quelques mois ! Notre rôle de sage-femme est d’être une oreille attentive, accueillante, bienveillante, réconfortante afin que les femmes enceintes fumeuses puissent dire vraiment ce qu’elles vivent et ressentent, sans être culpabilisées.
Et quand le traitement ne fonctionne pas ?
Le rechute doit faire partie intégrante de la discussion. S’il n’y a aucun jugement, la femme se sentira en confiance et pourra s’exprimer librement, ce qui très souvent nous amène à découvrir des erreurs dans la prise du traitement. J’ai déjà rencontré des femmes qui me disaient avoir mis leur patch mais que ça ne fonctionnait pas, elles avaient porté le patch une semaine entière alors qu’il n’était efficace que 16H ! Il faut vraiment vérifier l’observance du traitement. La rechute est une expérience positive qui permet aux femmes de mieux se connaître, et de renforcer la progression vers l’arrêt complet qui sera alors vécu comme une réussite.
L’entourage de la femme enceinte a-t-il une grande importance ?
Le conjoint est un allié de poids. S’il fume il est vivement conseillé de l’inclure comme premier soutien dans la démarche d’arrêt. S’il ne fume pas il faut l’inclure dans la prise en charge. Il peut l’aider à surmonter les pulsions à fumer qui durent une minute, l’aider à bien prendre son traitement, enlever tout ce qui peut faire penser à la cigarette à la maison et anticiper les situations à risques. Avec l’Association nationale des sages-femmes tabacologues Françaises ANSFTAF à l’EPSM des Flandres, nous avons mis en place une page Facebook(3) sur laquelle les femmes peuvent poser des questions (réponse dans les 24H) et surtout échanger avec des femmes qui vivent ou ont traversé la même épreuve qu’elles. Elles pourront bénéficier de conseils adaptés, participer aux défis, visualiser des vidéos de soutien, participer aux sondages…
Les infos sont disponibles sur www.tabac-info-service.fr
*ppm : en particules par million de particules
Sources :
Gomez C, Berlin I, Marquis P, Delcroix M, Expired Air Carbon Monoxide Concentration in Mothers and Their Spouses above 5 Ppm Is Associated with Decreased Fetal Growth’. Preventive Medicine 40, no. 1 (January 2005): 10–15. doi.org/10.1016/j.ypmed.2004.04.049.
www.ameli.fr/sage-femme/exercice-liberal/presciptionprise-charge/regles-exercice-formalites/prise-en-chargesevrage-tabagique#text_49024
www.facebook.com/Je-suis-enceinte-jarr%C3%AAte-defumer-686864761746846/
Une étude sur le risque de faible poids de naissance y compris chez les femmes fumant moins de 5 cig/jour : Ivan Berlin, Jean-Louis Golmard, Nelly Jacob, Marie-Laure Tanguy, Stephen J. Heishman, Cigarette Smoking During Pregnancy: Do Complete Abstinence and Low Level Cigarette Smoking Have Similar Impact on Birth Weight?, Nicotine & Tobacco Research, Volume 19, Issue 5, 1 May 2017, Pages 518–524
Pour la population générale : une étude sur les risques liés au tabagisme pour les « petits fumeurs » (1-4 cig/jour) en population générale : Bjartveit K, Tverdal A. Health consequences of smoking 1-4 cigarettes per day. Tobacco Control. October 2005, Vol. 14 (5), pp. 315-20