Décollement de la rétine au moment des efforts expulsifs, baisse de l'acuité visuelle pendant la grossesse, les idées reçues sur la myopie des femmes enceintes ne manquent pas ! Démêlons le vrai du faux avec Audrey Giocanti-Aurégan, opthalmologue à Bobigny.
La myopie est une anomalie de la vision qui se traduit par une vision floue de loin. Le degré de myopie est généralement quantifié d’après la puissance des verres correcteurs portés, exprimés par une puissance (en dioptries : D) négative par convention. Nous parlons de myopie faible quand cette puissance est < -3D, de myopie moyenne entre -3 et -6D, et de myopie forte quand cette puissance est > -6D.
La prévalence de la myopie en France était voisine de 40% de la population, en 2015. Les prévalences de myopies légère, modérée et sévère sont respectivement de 25.1%, 10.6% et 3.4%.
Cette prévalence est en nette augmentation comparativement aux études sur populations Caucasiennes des décades précédentes, environ 26% aux Etats-Unis, 15% en Australie en 1990.
Quelles sont les complications de la myopie forte ?
Avant d’aborder des spécificités de la femme enceinte, il paraît important de présenter les principales complications de la myopie forte :
- Le décollement de rétine rhegmatogène , survenant sur une déhiscence (déchirure ou trou rétinien périphérique). Lors de la survenue d’une déhiscence périphérique, les patients peuvent être symptomatiques, ce qui peut les conduire à consulter en urgence. Les symptômes sont des myodesopsies (ou sensations de « mouches volantes » monoculaires, et/ou des phosphènes -éclairs lumineux). Ces signes conduisent à la réalisation d’un fond d’œil avec examen minutieux de la périphérie rétinienne à la recherche d’une déhiscence. Il est recommandé en cas de déhiscence périphérique symptomatique de réaliser un barrage laser préventif afin d’éviter un décollement de rétine. Le cas d’une découverte fortuite de ces lésions ne conduit pas à la réalisation d’un laser, qui n’a pas prouvé son efficacité dans la réduction du risque de décollement de rétine.
- Les néo-vaisseaux choroïdiens du myope fort, correspondent à une prolifération vasculaire anormale localisée au niveau de la macula (zone de grande précision visuelle), qui conduit à une baisse d’acuité visuelle +/- associée à des métamorphopsies (les lignes droites sont perçues ondulées). Le traitement de ces néo-vaisseaux consiste en des injections intravitréennes d’agent anti-VEGF (Vascular endothelial growth factor- facteur de croissance endothélial).
- Le glaucome chronique à angle ouvert, diagnostiqué et traité par des collyres en général à partir de l’âge de 45 ans, mais qui peut parfois être pris en charge plus précocement. Cette dernière complication nécessitera une adaptation des traitements durant la grossesse.
L’accouchement est-il associé à un risque de décollement de rétine ?
Nous sommes souvent confrontés à des demandes concernant le risque de grossesse et d’accouchement par voie basse chez des patientes myopes fortes. Nous donnons alors des conseils sur les précautions à prendre en fonction du degré de myopie, de la présence de déhiscences périphériques symptomatiques ou asymptomatiques, ou d’un antécédent de décollement de rétine. En effet, par le passé on considérait que les efforts d’accouchement augmentaient la pression intra-oculaire (PIO), à l’origine de modifications mécaniques au niveau de l’interface vitréo-maculaire pouvant occasionner des décollements de rétine. Afin de réduire ce risque, un accouchement par césarienne ou une voie basse instrumentale était donc systématiquement proposé. En 1985, Neri et al. ont étudié 50 femmes dont le degré de myopie variait entre -4.5 et -15, et ont montré que malgré la présence de déchirures laserisées ou autres déhiscences asymptomatiques non laserisées, aucune modification des lésions n’avait été observée 2 et 14 jours après un accouchement par voie basse. L’élévation de la PIO semble donc s’appliquer de façon égale dans toutes les directions, et ne pas provoquer de rétraction du vitré. L’accouchement par voie basse est donc autorisé. En 1995, Landau et al. confirment l’absence de contre-indication à un accouchement par voie basse chez les patientes myopes fortes quel que soit le degré de myopie, y compris en cas d’antécédent de décollement de rétine. Ils recommandent également une absence de traitement prophylactique des déhiscences périphériques asymptomatiques.
Une étude iranienne conduite auprès de médecins obstétriciens en 2017 montre que, seuls 6% de ces-derniers recommandent un accouchement par voie basse en cas de myopie forte (contre 70% des ophtalmologistes). Notre rôle consiste donc à rassurer les patientes et informer nos collègues de l’absence de contre-indication d’un accouchement par voie basse.
En pratique
- Quel que soit le degré de myopie : pas de contre-indication à un accouchement par voie basse
- En cas d’antécédent de décollement de rétine : pas de contre-indication à un accouchement par voie basse
- En cas de déhiscence périphérique asymptomatique : pas de traitement laser préventif recommandé
- En cas de déhiscence périphérique symptomatique : traitement laser de la déchirure comme chez tout autre patient.
La myopie progresse-t-elle au cours de la grossesse ?
Pizzarello et al. ont montré qu’il existe une myopisation (= augmentation de la myopie) d’environ 1 dioptrie en moyenne au cours de la grossesse puis une régression complète après l’accouchement. Cette myopisation serait liée à une rétention d’eau accrue pendant la grossesse au niveau de la cornée qui modifie son épaisseur et sa courbure et ainsi son index réfractif. La progestine et les oestrogènes augmentent également la perméabilité à l’eau du cristallin, ce qui modifie transitoirement son index réfractif.
Par ailleurs la SUN cohorte, étude observationnelle portant sur plus de 10000 femmes a montré, sur une base déclarative, une absence d’augmentation de risque d’initier ou d’aggraver une myopie chez les patientes ayant eu au moins une grossesse par rapport aux jeunes femmes n’ayant pas eu de grossesse. Il n’y a donc pas lieu chez une patiente en cours de grossesse de modifier sa correction optique puisque ces modifications réfractives régressent en post-partum.
AntiVEGF et la grossesse : Quels sont les risques ?
Les injections intra-vitréennes d’agents antiVEGF (ranibizumab et aflibercept) recommandées dans le traitement des néovaisseaux choroïdiens du myope fort, n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en cas de grossesse.
Il est important de connaître la période critique de grossesse durant laquelle des évènements indésirables ont été décrits et les différents types d’évènements indésirables afin de conseiller au mieux les patientes. En effet, l’évolution de ces néo-vaisseaux peut être sévère et irréversible. Il convient donc d’évaluer la balance bénéfice-risque individuellement pour chaque patiente.
Vingt cas de patientes traitées par antiVEGF pendant une grossesse ont été décrits dans la littérature. Trois cas de fausse-couches précoces sont survenus, dont un chez une patiente de plus de 35 ans. Une quatrième patiente a souffert de pré-éclampsie. Dans ces 4 cas, les patientes avaient reçu 1 injection d’antiVEGF au cours des 5 premières semaines de gestation. Dans la plupart de ces 20 cas, la grossesse était méconnue. Le traitement des néovaisseaux choroïdiens chez une femme jeune enceinte passe donc par une information éclairée de la patiente sur les risques encourus par l’effet des antiVEGF au cours de la grossesse (décrits au cours du 1e trimestre) et les risques liés à l’évolution d’un néovaisseau choroïdien non traité, l’obtention d’un consentement écrit de la patiente, et reste hors AMM. La décision thérapeutique est prise en collaboration avec la patiente, et est ajustée à chaque cas.
Quelle pathologie oculaire nécessite un suivi régulier pendant la grossesse ?
Le glaucome est une maladie liée à une augmentation de la pression intra-oculaire, ayant pour conséquence la dégradation progressive des nerfs optiques. Le glaucome est plus fréquent chez les patients myopes forts. Tous les traitements en collyres sont à utiliser avec précautions durant la grossesse car les données chez la femme enceinte sont quasi inexistantes. Il faudra ainsi dans la mesure du possible favoriser un traitement mécanique (laser ou chirurgie) selon le type et la sévérité du glaucome, ou, si l’évolution le permet, éviter les traitements médicaux pendant la période d’embryogénèse. Un suivi rapproché par l’ophtalmologiste est indispensable, et dans le cas du maintien d’un traitement médical, il sera important de limiter le passage systémique des collyres par une pression sur les points lacrymaux lors de l’instillation.
Références :
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