Corinne Chanal est sage-femme référente périnatalité et addictions au réseau périnatal et régional Naître et Grandir en Languedoc-Roussillon et présidente du Groupe d’Étude Grossesse et Addictions. Elle nous expose une prise en charge en addictologie à travers ce cas clinique.
Un gynécologue m’appelle : «Je vois en consultation une femme enceinte de 17 SA qui consomme 5 joints par jour, tu peux la voir? » Je suis dans le service. Je reçois alors cette patiente une heure après.
L'entretien
Cette patiente est très volubile. Elle parle tout de suite du père de l’enfant. Il veut s’impliquer, mais elle le soupçonne d’une double vie. Elle présente des difficultés à aborder d’autres sujets.
Je recentre donc sur la grossesse : « Comment vous êtes- vous aperçue de la grossesse? »
C’est une surprise. Elle a découvert la grossesse à 10 SA, car elle n’avait plus ses règles. Elle est très contente d’être enceinte, son compagnon aussi.
- Quel soutien autour d’elle ?
Sa mère est décédée quand elle avait 14 ans, elle était toxicomane et a fait une overdose.
Son père est ravi de cette grossesse. Elle est proche de lui et le voit souvent. Il était alcoolique, il est abstinent depuis 4 ans. Ils fument du cannabis ensemble.
Elle a été placée en famille d’accueil par sa mère à 6 ans. Elle a bien compris la démarche et s’entend bien avec cette famille avec laquelle elle garde des liens. Elle a passé le week-end chez eux pour leur annoncer sa grossesse.
- Ses consommations des 6 derniers mois ?
Elle fume 5 joints par jour et 10 cigarettes roulées. Elle n’arrive pas à diminuer. Le père de l’enfant lui met la pression pour qu’elle arrête le cannabis.
Elle ne boit plus d’alcool depuis qu’elle est enceinte, elle en est très fière, car elle ne pouvait pas dormir sans 3 grandes bières fortes le soir (12 ui/j).
- Ses conditions de vie ?
Elle habite dans un studio à 40 km de Montpellier. Elle travaillait comme serveuse saisonnière, mais elle est actuellement au chômage. Elle a la CMU. Elle n’a pas de véhicule, elle vient en bus et en tramway pour ses consultations. Son temps de trajet est d'1h20.
- Quels professionnels en lien avec elle ?
Elle voit un médecin généraliste, avec lequel elle s’entend bien, mais qui n’est pas au courant de ses addictions. Il a effectué la 1re consultation de grossesse et l’a adressée au CHU de Montpellier pour une thrombopénie sévère.
Elle a tous les rendez-vous planifiés pour ses consultations de suivi de grossesse et les échographies.
- Quelles sont ses demandes ?
Elle souhaiterait que son conjoint l’aime. Elle voudrait aussi lui montrer qu’elle peut arrêter de fumer du cannabis.
Quelles sont les principales inquiétudes ?
Son enfant est à risque de troubles causés par l’alcoolisation fœtale puisqu’elle a consommé 12 unités standard d’alcool par jour d’alcool jusqu’à 10 SA
Son médecin n’est pas au courant de sa consommation de cannabis, ni de l’alcool. Elle n’a jamais bénéficié d’un suivi en addictologie.
Il existe un risque de rechute après la grossesse
Son histoire est lourde, transgénérationnelle…
Elle est loin du CHU et ne peut pas réellement s’appuyer sur son père et son compagnon
Quels sont les points de sécurité ?
Elle demande de l’aide
Elle a arrêté l’alcool à la découverte de la grossesse
Elle a un suivi de grossesse avec un gynécologue en qui elle a confiance et un médecin généraliste.
Elle se présente aux rendez-vous
Quels sont les plans d'action ?
Je mets d’abord en avant ces points positifs, puis je lui dis que le cannabis et le tabac ont des effets sur son bébé, mais que le plus grand souci est l’alcool en début de grossesse.
Je lui propose d’en parler au gynécologue afin de programmer des échographies à 18SA et 22SA. Elle est d’accord. Je la préviens des limites de l’échographie et que j’organiserai ensuite un rendez-vous avec un pédiatre, spécialiste de ce type de situation.
Je lui propose un soutien proche de son domicile, en hiérarchisant les priorités :
Orientation vers une antenne de l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en alcoologie et addictologie) pour un suivi en addictologie avec une infirmière et une psychologue.
Une liaison vers la sage-femme de PMI pour un soutien et une mise en lien avec le réseau de proximité, un suivi social et une préparation à la naissance et à la parentalité.
Elle est favorable à ces propositions et accepte que je tienne informé son médecin généraliste.
Je prévois aussi del’appeler pour un meilleur suivi des orientations, la revoir à chaque rendez-vous gynécologique et de préparer l’hospitalisation mère-enfant, les transmissions aux équipes, l’après-grossesse…
Que s'est-il passé par la suite ?
Cette patiente a été suivie comme proposé. Elle n'a raté aucun rendez-vous. Elle a stoppé la consommation de cannabis à 17SA, a diminué le tabac à 3-4 cigarettes par jour avec un monoxyde de carbone à 8 en fin de grossesse et un traitement par patch de 21mg. Elle a accouché à 39SA+6 j sous anesthésie péridurale d'une fille de 2780 g, avec un Apgar à 10/10. Elle est sortie de la maternité en bénéficiant d' un suivi par une puéricultrice de PMI et d'un psychologue de l'ANPAA.