À l’inverse de la mère, un père en devenir ne ressent pas les sensations directes de la maternité. Pourtant, pour lui aussi, depuis l’annonce de la grossesse à la naissance de l’enfant, un processus psychique va cheminer tout au long de ces 9 mois de gestation.
Par Agathe Lochelongue, psychologue spécialisée en périnatalité, Paris.
Au cours de mon expérience professionnelle et des différents témoignages de pères - que j’ai accompagnés dans mon cabinet sur le chemin de la paternité et de la parentalité - j’ai pu observer que les hommes vivaient aussi une période de bouleversements psychiques.
Les remaniements psychiques
Devenir père relève principalement d’un désir et d’une représentation imaginaire. Pour les futurs pères, grossesse et accouchement sont à la limite du représentable. Se penser père peut alors susciter beaucoup d’interrogations, de doutes, de contradictions, de pensées et de sentiments ambivalents. L’homme peut se sentir projeté dans son histoire, revivre sa relation à ses parents, à ses paires pouvant, l’accompagner dans une paternité stable, soit le faire douter de ses capacités à devenir père lui-même - en projetant sur l’enfant à venir ses propres conflits internes. Ainsi l’homme peut ressentir l’enfant à naître comme persécuteur de sa propre histoire. Devenir père implique aussi de renoncer à sa place d’enfant, de fils tout en reléguant ses propres parents dans la catégorie des aînés – répétant ainsi ce même schéma avec son enfant à naître. Lui-même, un jour, pourra faire de son père le grand-père de son enfant. C’est toute une lignée transgénérationnelle qui s’inscrit à la naissance d’un enfant.
Cette aventure de la paternité mobilise également les conséquences d’un changement de vie. Le désir d’enfant représente une certaine mutation dans la construction de l’homme. La paternité constitue ainsi une sorte de nouvelle adolescence. Peut-on parler de « patrescence » - au même titre que celui de « matrescence » pour la mère ?
Tout comme la mère, le père peut revivre sa vie intra-utérine en s’identifiant à l’enfant à naitre, ce qui peut provoquer nombre de remaniements et d’angoisses inexpliquées. Voir sa compagne enceinte, devenir mère, peut réveiller des sentiments inconscients en lien avec sa propre gestation. Sa relation à sa propre mère est mise en avant tout comme celle, d’avec le petit enfant qu’il a été et son enfant intérieur. Sur le chemin du devenir père, l’homme retrouve souvent des fantasmes de son enfance...
Le désir d’enfant du jeune garçon - au même titre que celui de la petite fille - montre un désir de donner la vie, fantasmé sur le fait d’enfanter « comme maman » et d’être fort « comme papa ».
Au cours de l’évolution de la grossesse, nous pouvons observer certains symptômes du côté du père. On parlera souvent de troubles digestifs, de nausées ou de la fameuse « couvade ».
La rencontre avec l’enfant
De nombreux témoignages évoquent le fait de devenir « réellement » père au moment de la naissance de l’enfant – « la première fois que je l’ai tenue dans mes bras, j’ai pris conscience que c’était ma fille et que je l’aimerai toute ma vie ». La relation d’attachement avec l’enfant est un processus plus long, qui parait plus intense pour l’homme. Il se voit alors propulser en un quart de seconde dans la « peau » d’un père. C’est comme si toute la responsabilité d’un enfant se présentait à lui par ce petit corps. Ce qui peut se faire plus en douceur pour la mère qui porte cet enfant pendant neuf mois. Il est ainsi fréquent de voir des pères chambouler par cette nouvelle vie et avoir besoin de prendre leur temps ou de se raccrocher à ce qu’ils connaissent – leur histoire familiale. C’est le moment de devenir père comme les hommes de la famille et en particulier comme son propre père.
Pour pallier à cette incapacité anatomique de porter l’enfant, la place du père est une conquête de jour en jour – présence du père pendant les échographies et les cours de préparation à l’accouchement, à la maternité et dans la salle d’accouchement, participer aux premiers soins du nouveau-né, le congé paternité allongé, le congé parental pour le père, le déclaration à l’état civil, etc - invitant le père auprès de l’enfant.
La déclaration de l’enfant à la mairie, quelques jours après sa naissance - si le choix est fait où l’enfant portera le nom du père - celui-ci lui cède sa place d’enfant et l’inscrit dans sa lignée. Cette nomination traditionnelle et à la fois symbolique du père, présente son enfant, mais aussi son nouveau statut de père – à la société. Une filiation symbolique qui illustre la dette de vie qui lie le sujet devenu père à ses ainés.
Néanmoins, beaucoup de père culpabilisent de ne pas ressentir tout de suite des sentiments très forts pour leur bébé. Ils ne disent rien et se renferment, et mettent en place des mécanismes de défenses qui peuvent impliquer l’enfant et la maman. Ces pères ont besoin de temps. Tous ne réagissent pas de la même façon et ne vivent pas la même expérience. C’est évident dans la mesure où tous n’ont pas la même histoire et le même vécu avec la notion de parents et de parentalité.
Les pères, eux aussi, ont besoin d’être encouragés, de se sentir écoutés et compris dans ce moment de chamboulements psychiques. Et il est important que ces derniers puissent trouver un espace pour parler de leurs ressentis, doutes et inquiétudes. Cela ne fait pas d’eux des « mauvais pères ». Les accompagner sur le chemin de la parentalité c’est leur permettre de devenir le père qu’il souhaite réellement et qu’ils ont pu fantasmer dans l’enfance.
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Références :
La dette de vie, Itinéraire psychanalytique de la maternité – Monique BYDLOWSKY, Ed. Puf
Devenir mère – Monique BYDLOWSKI, Ed. Odile Jacob
Vivre et transmettre le meilleur pendant sa grossesse – Sophie METTHEY, Ed. Le souffle d’or