Traitées de façon chronique par des antidépresseurs, des femmes poursuivent leur traitement pendant la grossesse, d’autres décident de l’arrêter transitoirement ou bien complètement. Mais quels sont les effets de ces différentes orientations ?
La prise d’antidépresseurs chez les femmes en âge de procréer est loin d’être anecdotique en France, puisque la prévalence s’élève à 23%. Il n’est donc pas rare qu’elles débutent une grossesse sous traitement; elles étaient 3,2% en 2010. La grossesse est aussi une période de vulnérabilité psychique où les femmes sont plus susceptibles de développer une dépression, avec une prévalence de 5 à 15% selon les études. Pourtant, la majorité des femmes traitées arrêtent brutalement leur traitement en cours de grossesse alors que les conséquences peuvent être dommageables pour elle et leur bébé.
Dans le British Journal of Clinical Pharmacology, une étude de cohorte française s’intéresse pour la première fois à l’évolution du traitement par antidépresseurs durant la grossesse et jusqu’à 6 mois après l’accouchement chez des femmes enceintes déjà traitées de manière chronique (au cours des 6 mois précédant l’accouchement). Pour mener cette étude, les chercheurs ont utilisé les données de l’Assurance maladie française entre 2009 et 2014. Sur cette période 41 722 femmes ont accouché, dont 760 bénéficiaient déjà d’un traitement antidépresseur avant leur grossesse, pour 62% un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS).
Ils ont alors constaté que :
55,8% des femmes ont arrêté de prendre leur traitement au 1er trimestre de la grossesse et ne l’ont pas repris pendant la durée de l’étude
20,4% des femmes ont arrêté transitoirement les antidépresseurs, au moins 3 mois pendant la grossesse
23,8% d’entre elles ont poursuivi le traitement pendant la grossesse
Il n’y avait pas de caractéristiques spécifiques (sociales, démographiques ou bien médicales) associées à ces comportements.
Arrêt, maintien des antidépresseurs : Quels impacts ?
Lorsque le traitement était maintenu, l’analyse a montré qu’il y avait plus de cas de détresse respiratoire néonatale (30,9%) comparativement au groupe arrêt des antidépresseurs ( 20,1%), de même pour l’accouchement prématuré , l’hémorragie du post-partum et la pré-éclampsie.
Pour le groupe ayant interrompu les antidépresseurs pendant la grossesse, l’évolution du traitement est en augmentation après l’accouchement et à un niveau plus élevé qu’avant la grossesse. Ce schéma concerne aussi bien les femmes traitées pas benzodiazépines qu’anxiolytiques.
Antidépresseurs: Réevaluer, surveiller...
L'exposition aux médicaments a été identifiée grâce au remboursement des antidépresseurs, il peut donc y avoir un biais sur les traitements réellement administrés. Par ailleurs, cette étude originale nous apporte un éclairage sur la prescription des antidépresseurs pendant la grossesse. Plus de la moitié des femmes ont stoppé le traitement pendant la grossesse et n’ont pas rechuté dans les 6 mois suivant la naissance, cela montre qu’il est important de réévaluer le traitement en début de grossesse.
Celles où le plus de complications obstétricales ont été rapportées sont les femmes qui ont maintenu leur traitement. Mais elles présentaient un profil de dépression plus sévère, avec souvent un statut ALD et consultaient plus souvent un psychiatre ou un médecin généraliste. Par ailleurs, il est important pour les sages-femmes et médecins de garder en tête que ces femmes sont plus susceptibles de développer des complications puisque des études antérieures avaient déjà montré que les patientes exposées à des antidépresseurs avant 16 semaines de grossesse présentaient un risque 3 fois plus élevé de développer une prééclampsie et que l’exposition en fin de grossesse à ce type de traitement était associé à un risque accru d’hémorragie du post-partum .
Une autre résultat intéressant est l’effet rebond en post-partum des femmes qui ont interrompu leur traitement pendant la grossesse.
Malgré les limites de l’étude, ces nouvelles données nous rappellent que le suivi des femmes traitées sous antidépresseurs pendant la grossesse et le post-partum mérite une attention particulière et encourage à l’améliorer davantage.
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