Catherine, sage-femme depuis une vingtaine d’années est tombée en écriture alors qu’elle était adolescente. Une passion ? Oui, mais pas que… Rencontre avec l’artiste !
Votre parcours ?
En rentrant à l’école de sage-femme, j’ai très vite compris que ces 4 années ne représenteraient pas les meilleures de ma vie. Ce moule dans lequel il fallait rentrer, ce n’était pas pour moi ! J’ai tout de même poursuivi mon cursus car l'art d'accoucher, c'est-à-dire d'inventer le devenir mère me fascinait déjà, et avec l’idée de me défaire de la sur-technique acquise en partant en mission humanitaire le plus vite possible. J’ai ainsi participé à quelques missions, seule et en famille, nous avons vécu 1 an au Cambodge.
En 2001, nous sommes rentrés en France, en plein mouvement « sage-femme ». Revenant du Cambodge, là où le salaire est de 3 dollars/ jour, j’étais plutôt déconnectée de cette réalité, de ces protestations…
J’ai exercé aux Bluets, une maternité où j'ai trouvé ma place durant une quinzaine d’années.
Assez vite, je me suis spécialisée dans les violences intrafamiliales, et en 2013 j’ai créé, à la suite de mon diplôme universitaire sur la régulation des naissances, une consultation « gynécologie, sexologie et contraception ». J’ai vite pris conscience que pour les mener efficacement je ne pouvais pas dissocier la physiologie du plaisir, de la prévention des violences. J’ai alors décliné ce suivi en mêlant du dépistage actif des risques psycho sociaux et de l’éducation à la sexualité avec les patientes qui le souhaitaient.
Puis des évènements m’ont incitée à mettre en " stand-by" mon exercice de sage-femme.
Entre autres, cette affaire judiciaire qui a duré presque 5 ans. Celle où un mari a déposé plainte contre moi à l’Ordre National des Sages-Femmes. Mon erreur ? Avoir pris en charge et rédigé un certificat à la demande de la patiente en respectant les règles déontologiques de rédaction d'un tel document.
L’affaire a été relayée dans les médias, elle a mis en évidence un vide juridique au moment de la refonte de la loi santé. En effet, seuls les médecins étaient protégés dans la loi, alors que d’autres professionnels peuvent être impliqués et exposés à ce genre de situation. Depuis a été rajoutée la mention « professionnels de santé ».
Une histoire comme celle-ci laisse des traces, il faut savoir dépasser l'évènement et poursuivre sa route, transformer les blessures en or.
L’écriture dans tout ça ?
L’écriture fait partie de moi depuis l’adolescence, où je pratiquais beaucoup mon piano. L'écriture est venue remplacée peu à peu le piano. Plus facile d'emmener un stylo en mission qu'un piano !
Il y a aussi une transmission familiale de l'usage de la plume et de la langue française comme un moyen de prise de position dans l'espace citoyen, mon père m'a transmis l'art du travail en écriture.
J’ai toujours eu une double activité : sage-femme et l’écriture. Dans le roman que j’écris actuellement, je dis : « l’écriture m’a aidée à ne pas devenir inhumaine dans l’exercice de mon métier ».
On est happé par une espèce de surpuissance, avec ce mystère qui est de l’ordre de l’inhumain, c'est-à-dire qui dépasse l’humain ; la réanimation d’un enfant - pourquoi celui-ci démarre et pas le voisin ?- d’une mère - pourquoi la mort maternelle en 2018 dans le monde, elles sont 340 000! et on l’est d’autant plus aussi lorsqu’on participe à des missions humanitaires et que l’on travaille avec si peu de matériel par moment : elle aurait dû mourir pourquoi vit-elle encore ? Cette place qui dépasse l’humain peut donner un sentiment de surpuissance très dangereux, il faut s'en méfier comme de la peste et entraîner une lutte avec soi-même.
L’écriture est venue m’apaiser. Elle sert à élaborer et conforter une déontologie de pratique. C’est un peu comme si, j’observais de cette place particulière, en retrait, pour témoigner de ce qui se passe, ce qui est merveilleux et ce qui ne l’est pas, parce dire 25 fois dans une même journée « éteignez votre portable Madame, vous êtes en train d’accoucher », n’a rien de réjouissant sur la façon dont certains jeunes couples deviennent parents dans une espèce d'inconscience irresponsable…
Une garde qui se termine n’est pas achevée, je poursuis avec l’écriture pour mettre en lumière les belles choses, mais aussi dénoncer des situations. Dans ce métier on est au cœur de la société et de son évolution.
L’écriture m’aide à trouver des réponses, à laisser trace, témoigner de ce travail bien souvent invisible, en manque de reconnaissance. Dernièrement une étude a mis en lumière que les sages-femmes se trouvaient parmi les professions les moins « heureuses », parce qu’on a tendance à nous cantonner, encore et malheureusement, à la blouse rose bonbon…
L'écriture fait donc partie de vous et depuis un petit moment. Quels ont été vos travaux antérieurs?
J’ai fait lire mes premiers écrits qui m’ont valu des publications dans plusieurs revues. Les rencontres avec Sylvie Germain et Heny Bauchau ont été fondatrices de mon travail en écriture. En 2002, j’ai participé à une lecture publique à l’espace Kiron. Puis avec la vie professionnelle, ma vie personnelle, j'ai manqué de temps pour rendre visible mon écriture. Au moins j'écrivais, les années ont passées...
Aujourd’hui, l’écriture revient en force, j’ai publié un article dans les magazines Médiapart, Ebdo, les Dossiers de l'Obstétrique, des extraits de poèmes dans Parole de Sages-femmes, dans Sens et santé où j’aborde « l’utérus, lieu du plaisir féminin » et également une fiction poétique vient de paraître.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette fiction poétique ?
Il s’agit de « Écrire, c’est aimer » aux Éditions Voix tissées. C’est le point de départ de « pourquoi écrire », il tourne autour d’être une femme, une mère, une amante, une artiste.
Un thème vieux comme le monde ! Sous la terminologie « d’artiste », je parle aussi du métier de sage-femme. L'art d'accoucher galvaudé aujourd'hui, il faut le rappeler, ce n'est pas rien ! Est-ce que si je suis ou non une mère, j'ai le droit de jouir ? De créer autre chose qu'un enfant ? C’est entre le dialogue, le théâtre, la fiction, une rencontre amoureuse rythmée par une succession de poèmes entre les chapitres. Ces poèmes constituent des « ciels », il y en à 8 pour parvenir au 7e…
D’autres ouvrages ?
Oui, un roman aux éditions Le Passeur: "La chronique du périnée". Un écrit plein d'humour sur l’épanouissement féminin, la dénonciation de ce que les femmes subissent, entre le cri et l’amour... La transmission de mes 20 années de pratique.
Un écrit où j’ose être celle que je suis "une femme de paroles et de mains... heureuses !
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