Certaines mères se tournent vers l'alimentation artificielle par peur de l'allaitement maternel exclusif. En leur offrant plus de souplesse, elles pourraient se laisser tenter par quelques tétées, voire plus, et construire ainsi leur propre expérience d'allaitement.
« Comment souhaitez-vous nourrir votre bébé ? »
Bien que cette question soit ouverte, dénuée de prosélytisme, en faveur de l’allaitement ou du biberon, elle presse les mères de faire un choix. Il nous parait normal de devoir faire un choix avant que l’enfant paraisse. Pourtant certaines mères sont indécises. Elles disent qu’elles aimeraient allaiter un peu, pas longtemps ou faire du mixte et en toute bienveillance, elles sont intégrées dans un programme d’allaitement maternel exclusif (AME) au risque peut-être de les dissuader de tenter leur propre expérience d’allaitement.
En effet, le choix est souvent présenté comme un choix binaire : « noir ou blanc », « sein ou biberon ». Mais pourquoi pas gris avec toutes les nuances de gris imaginables ?
Bien sûr, nous savons que l’introduction de biberon de préparation lactée pour nourrisson conduit au sevrage. C’est la loi de l’offre et de la demande. Moins il y a de tétées ou d’extractions de lait moins il y a de production. L’AME est une condition essentielle à la réussite d’un allaitement. L’allaitement mixte débuté dès la maternité conduit au sevrage.
Un droit à l’indétermination
Dans le cadre de ma formation de consultante en lactation, j’ai établi un programme que j’ai appelé « allaitement indéterminé », j’ai réfléchi à la meilleure approche et défini un cadre pour faciliter sa mise en place tant auprès des mères et qu’auprès des professionnels de santé.
Ce programme donne la permission à des mères qui au départ ne souhaitent pas allaiter de ne pas se déterminer avant la naissance de l’enfant. Il s’adresse d’abord aux mères non allaitantes et favorables à l’idée d’une première tétée afin d’écarter, par respect, celles pour qui le contact du bébé au sein est inenvisageable. De même les mots « tétée de bienvenue » ou « tétée d’accueil » sont évités car ils semblent porter un jugement sur ce qui est bien ou non.
Ce programme permet d’offrir aux mères qui seraient tentées par le biberon, la liberté de se laisser guider par les évènements au fur et à mesure :
Les circonstances de la naissance et de la rencontre avec l’enfant vont influencer le premier choix de la mère en matière d’alimentation. Certaines seront prêtes pour tenter une première tétée, d’autres préfèreront donner un biberon.
Après cette première tétée elles auront envie ou non de poursuivre. Certaines pourront enchaîner les tétées sans se rendre compte qu’elles allaitent exclusivement. D’autres pourront faire du « mixte » en vue d’un sevrage très précoce. Elles pourront donner le sein en complément du biberon pour répondre, par exemple, à un besoin de contact du bébé ou le biberon en complément du sein pour se rassurer sur la quantité ingérée. Le nombre et le moment des tétées seront laissés à l’appréciation de la maman. Seul l’espace entre chaque biberon peut être précisé par l’équipe soignante.
- Et pour celles qui se seront orientées vers une alimentation artificielle (AA), si la tension des seins est douloureuse au 2eme ou 3eme jour, différentes solutions leur seront proposées : vider les seins sous la douche, tirer du lait avec un tire-lait et le donner au nourrisson au biberon, ou encore envisager une tétée. L’idée qu’une ou deux extractions de lait pourraient déclencher une lactation n’a pas été vérifiée, par contre le soulagement est instantané et durable.
Informer les futures mères
Plus l’information est donnée tôt, plus la future maman sera à même de s’approprier ce projet et de le faire évoluer. Les mères doivent savoir que :
L’allaitement mixte conduit au sevrage
Seul l’AME garantit la réussite d’un allaitement
Aujourd’hui aucun médicament n’est prescrit pour stopper la lactation. Toute forme d’extraction de lait peut soulager la tension des seins.
La position BN comme Biological Nurturing, aussi appelée « transat » ou « zen » réduit le risque de douleurs et de crevasses.
Pour la position BN(1), en salle de naissance, lors de la première tétée, les mamans s’émerveillent devant les compétences de leur bébé : « il a réussi à attraper le sein tout seul ». Elle est souvent allongée sur le dos, semi inclinée, elle veille sur son bébé. Celui-ci est posé sur elle, ventre contre ventre et si ses pieds ne sont pas dans le vide ; il pourra prendre appui pour attraper le sein de lui-même. C’est en fait la seule position où l’enfant est capable de prendre le sein de lui-même. Aussi, il est bon d’encourager les mères à poursuivre toutes les tétées dans cette même position qui plus est reposante.
Ecrire un projet d’allaitement indéterminé
lors de la mise en place de ce programme les mères qui n’avaient pas présenté de projet écrit ont subi certaines pressions en faveur de l’AME. Elles n’ont pu avoir de biberons à disposition dans leur chambre comme toute maman qui choisit de biberonner. Ce détail permet à la mère de se sentir totalement libre de sa décision le moment venu. Aussi pour aider les futures mères un écrit type (2) est proposé, il reprend les connaissances reçues et leurs attentes.
Les risques de la mise en place de l’allaitement indéterminé dans les maternités
Plus nous voulons donner de la souplesse aux mères plus, en tant que professionnels de santé, nous devons faire preuve de rigueur dans la conduite de l’allaitement. Pour éviter tout risque de confusion dans nos pratiques, il est nécessaire d’identifier clairement les différents programmes : AA pour alimentation artificielle, AME pour allaitement maternel exclusif et AInd pour allaitement indéterminé.
L’IHAB recommande (critère n° 6.1 et 6.2 du formulaire d’autoévaluation) de « privilégier l’AME en ne donnant aux nouveaux nés allaités aucun aliment, ni aucune boisson autre que le lait maternel, sauf sur indication médicale ou sur décision éclairée de la mère. »(3). Ce critère de l’IHAB donne le pouvoir de décision aux mères si elles sont informées. Tout en sachant que l’information des mères repose essentiellement sur la formation des professionnels de santé.
En conclusion, à l’heure où les femmes non allaitantes n’ont plus de médication pour inhiber la lactation, l’allaitement indéterminé pourrait être une alternative entre l’AM exclusif et l’AA exclusive. Ce projet donne le temps à la mère de se faire sa propre expérience en toute liberté, loin des préjugés et des peurs.
Références:
- https://www.biologicalnurturing.com/
- www.alloucherybéatrice-sagefemme.fr
- https://amis-des-bebes.fr/pdf_news/2016/AUTOEVALUATION-IHAB-juin-2016.pdf