La douleur fait partie de la mise au monde, mais doit-on la mettre sur le même pied d'égalité qu'une douleur liée à une pathologie? N'a t-elle pas, malgré tout, des intérêts dans le processus de la naissance?
Douleur et souffrance : Quelle différence ?
Pour Simkin et Ancheta (2011), il est d’abord important de savoir faire la différence entre douleur et souffrance, l’une étant physique et l’autre ayant une dimension psychique, reliée à un état de détresse, de sentiment d’impuissance et de peur. L’auteur soutient que les femmes ont bien plus peur de souffrir que d’avoir mal.
Faut-il dissocier douleur et expérience de l'accouchement ?
Si l’accouchement n’est pas une maladie, sa douleur non plus. Dans une situation d’accouchement normal/physiologique, nous devrions logiquement penser à une douleur « normale ». Or, la vision actuelle des soins nursing et médicaux est marquée par une mission : soulager la douleur. La médecine parle depuis très longtemps de la « lutte » contre la douleur, ce qui est logique dans une situation de chirurgie, de maladie chronique ou de fin de vie.
Cette vision a cependant imprégné les pratiques obstétricales et correspond en plus très souvent aux demandes des femmes elles-mêmes. Le modèle du « soulagement de la douleur » accentue une dissociation par rapport à l’expérience globale de l’accouchement et se base sur la relative « inutilité » de la douleur. Elle devient alors un « problème » à gérer.
Alors que le langage s’articulait autour de méthodes non pharmacologiques du soulagement de la douleur il y a des propositions différentes qui ont émergé depuis quelques années. Il a fallu constater que le langage du soulagement non pharmacologique de la douleur nous garde dans le modèle « soulager la douleur ». Ce qui se développe maintenant, du moins parmi les sages-femmes, c’est l’approche travailler avec la douleur » (aider une femme qui a mal).
Comprendre la fonction physiologique de la douleur
Walsh (2012) a proposé un tableau éclairant la différence entre ces deux approches. La démarche pour favoriser la physiologie de la mise au monde inclut non seulement la compréhension du rôle et les fonctions de la douleur physiologique mais elle devrait nécessairement inclure la compréhension d’une approche très différente que celle qui est utilisée traditionnellement dans les milieux cliniques.
Soulager la douleur |
Travailler avec la douleur _ aider une femme qui a mal
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Langage qui suggère que la douleur est un problème | Langage qui suggère que la douleur d’accoucher est une douleur normale |
Paternalisme : nous pouvons vous protéger d’un stress non nécessaire | Empowerment égalitaire: nous sommes avec vous, à vos côtés. Vous avez ce qu’il faut |
Âge technique/rationnel_ curatif La douleur peut/devrait être prévenue/traitée | La douleur comme composante intemporelle des transitions et des « rites de passage » |
Impact neutre de l’environnement | Impact important de l’environnement |
Expertise clinique des professionnels | Rôle de soutien des professionnels |
Session spéciale sur la douleur dans les rencontres prénatales | Sujet intercalé dans le cours de préparation à l’accouchement |
Approche « menu » pour différentes options pour s’adapter à la douleur | Stratégies de soutien pour le parcours (voyage) du travail et de l’accouchement |
La douleur comme enjeu à gérer dans un contexte de soins standardisés (chaîne de montage) | La douleur comme une des dimensions de l’accouchement dans un environnement à petite échelle, avec le soutien un-à-un |
Contribue à l’augmentation des accouchements médicamentés | Contribue à la tendance à moins d’analgésie médicamenteuse |
Dynamique « cascade des interventions » | Les risques des agents médicamenteux l’emportent sur les bénéfices |
Premier accouchement : très bien pour l’approche « menu » d’options à choisir. | Premier accouchement : belle occasion pour « travailler avec la douleur » |
Le choix informé signifie que toutes les options doivent être présentées | Le choix informé se fait dans le contexte du plan de naissance et de la philosophie du milieu. |
Walsh (2012) p.49 traduction libérale
Céline Lemay, Sage-femme, PhD - Auteure de « La mise au monde : revisiter les savoirs », Montréal : Presses de l’Université de Montréal, (2017)
Cet article est relié autant à ma longue expérience de sage-femme, essentiellement autour d’accouchements physiologiques, que mes fréquentations avec les sciences biomédicales que j’enseigne et les sciences humaines et sociales de mes démarches académiques de maîtrise en anthropologie et de doctorat en Sciences Humaines Appliquées.