Montée d’adrénaline, stress, peur, la gestion d’une dystocie des épaules ne laisse pas de marbre les sages-femmes. Selon cette étude, elle serait susceptible d’influencer les soins futurs dispensés aux femmes.
La dystocie des épaules est une complication obstétricale qu’une sage-femme rencontrera inévitablement au cours de son expérience. Un tel évènement peut générer des effets indésirables sur les émotions et le psychisme des sages-femmes.
Une étude qualitative, publiée dans Women and Birth, a exploré l’impact de la dystocie des épaules sur l'orientation des sages-femmes et sur leur pratique clinique et les facteurs qui peuvent détériorer ou améliorer l'expérience d’une dystocie des épaules.
Pour cela, des entretiens approfondis ont été menés auprès de 25 sages-femmes australiennes âgées de 22 à 60 ans qui avaient connu au moins une dystocie des épaules.
La dystocie des épaules, un évènement traumatisant qui laisse des traces …
Les participants avaient une expérience de 2 à 42 ans. Près de 40% d’entre eux détenaient le baccalauréat, 40% un master, 12% un doctorat et 8% un certificat ou diplôme comme leur plus haute qualification. Ils travaillaient pour 56% à l’hôpital. Des données recueillies, 4 thèmes ont émergé :
- « Une naissance inoubliable»
Selon des sages-femmes, la dystocie des épaules a été vécue comme un évènement traumatisant pour elles-mêmes, la femme ainsi que toutes les personnes présentes à la naissance. Malgré les actions déployées, rien ne se passait, si bien que certaines professionnelles se sont senties désespérées, «Les alarmes sonnaient. J'ai commencé à faire une épisiotomie […] tout le monde est venu. J'ai fait toutes les manœuvres internes, et le bébé ne bougeait pas. J'ai essayé de retirer le bras postérieur. Une autre sage-femme a fait une autre tentative, nous l'avons fait les manœuvres à nouveau pleinement et rien ne s'estpassé. J'ai mis presque toute ma main, le bébé s’est décoincé mais la clavicule a été brisée. Le bébé est sorti incroyablement blanc et hypotonique. Je tremblais. Je pensais juste que le bébé était mort » (Kylie). La situation d’urgence n’a pas été sans retentissement sur les accouchements suivants, pour une autre sage-femme interrogée, Alice, « à chaque accouchement auquel j’assistais depuis cette naissance, je n’étais pas détendue avant la l’accouchement. Cela m'a laissée avec une peur permanente de la dystocie de l'épaule ». La culpabilité peut être si grande que«Si ce bébé meurt, je dois vivre avec ça et pire je dois vivre avec le chagrin de ces parents qui m'avaient fait confiance » (Charlotte).
Au-delà d’être caractérisée comme une naissance marquante, la dystocie de l'épaule était aussi un évènement qui impactait sur la façon dont les sages-femmes considéraient les naissances normales par la suite.
Pour certaines sages-femmes, plus elles participaient aux naissances, plus leur anxiété a augmenté au cours de leur carrière. « Quand j'ai commencé la profession de sage-femme […] je croyais juste que chaque naissance serait normale. Chaque incident rencontré au cours de ma carrière rajoute un peu plus d’anxiété » (Anna).
- « De la passion à la prudence »
Après avoir participé à plusieurs accouchements traumatisants, des sages-femmes font preuve de plus de prudence et sont devenues hypervigilantes. L’une déclare, « pour les naissances qui ont suivi, je mettais les patientes en Mac Roberts car j’étais pétrifiée. » (Kylie). Outre l’impact sur la pratique clinique, des sages-femmes se sont demandé si elles devaient rester ou quitter la profession.
- « Des facteurs aggravants l’expérience »
La dystocie des épaules a été décrite comme situation traumatisante, toutefois certains facteurs ont majoré la détresse de cette expérience, notamment lorsque les sages-femmes réfléchissaient aux aspects émotionnels et physiques de la naissance sur les femmes.
Des sages-femmes se sentaient responsables que la rencontre mère-bébé ait été perturbée dans les heures suivant la naissance, surtout si le bébé nécessitait des soins intensifs.
Pour une participante, 6 mois après l’accouchement difficile, elle s’occupait de la sœur de la patiente qui était à son tour enceinte. La sage-femme déclarait « j’étais vraiment préoccupée par ce que sa sœur pourrait penser à moi, et si elle avait peur de m'avoir comme sa sage-femme »(Elena).
Les relations entre collègues interviennent également dans la détresse de l’expérience. En effet, le jugement par les pairs rajoute des émotions négatives.
- « Des facteurs apaisants l’expérience »
Au contraire, d’autres expériences ont atténué la détresse des sages-femmes après une dystocie des épaules lorsque la mère et l’enfant étaient en bonne santé, le processus était moins douloureux pour les sages-femmes. Aussi, la continuité des soins et l’opportunité de débriefer avec la famille aidaient les sages-femmes à faire face au traumatisme, tout comme le fait d’être reconnu comme acteur dans la naissance ; « si elle n’avait pas été présente, l’issue aurait pu être pire. »
Le debriefing est essentiel
Participer à un accouchement compliqué d’une dystocie des épaules peut générer des peurs irrationnelles et entrainer des gestes non justifiés lors des naissances suivantes. Par effet boule de neige, ceci est même susceptible de se majorer au cours de l’expérience.
Il convient alors de soutenir les sages-femmes après des naissances compliquées pour limiter cette forme de pensée catastrophique. L’accompagnement peut inclure différents modèles basés sur des ressources éducatives, psychologiques, de médecines complémentaires… Le débriefing est essentiel tout comme la bienveillance des collègues.
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