Bouche ouverte, front plissé, yeux fermés, voilà comment Darwin décrivait la douleur des nourrissons au siècle dernier. Pourtant la prise de conscience de leur douleur est récente, et à ce jour, mérite que tous les professionnels soient sensibilisés pour mieux l’évaluer.
Avec Audrey Duvrac, sage-femme à Poitiers
La douleur des nouveau-nés : comment cette préoccupation a-t-elle évolué au fil du temps ?
Dans les années 50, nous pouvions lire dans les manuels pédiatriques qu’il n’était pas nécessaire de pratiquer une anesthésie lors des quatre premiers jours de leur vie, pensant que les nouveau-nés ne ressentaient pas la douleur. (1) Dans les années 70, le gynécologue obstétricien français, Frédérick Leboyer, alerte la communauté scientifique avec son livre" Pour une naissance sans violence" (2), sur l’importance des bruits, de la lumière, du stress répété et donc des capacités sensorielles et émotionnelles du nouveau-né, ainsi que de l’importance d’instaurer une continuité entre la vie intra-utérine et extra-utérine afin de ne pas créer un trop grand traumatisme par la naissance. (3) L’instauration d’une analgésie suffisante chez les nouveau-nés a montré des bénéfices et une diminution considérable des complications comme démontré dans des études menées par le docteur en pédiatrie, anesthésiologie et en neurobiologie, KJS.Anand, en 1987. À cette époque, une simple immobilisation par du curare ou une inhalation d’un gaz légèrement anesthésiant au protoxyde d’azote était réalisée (4) (5)(6). Le nouveau-né a la spécificité de ne pas pouvoir se défendre face à la douleur puisqu’il possède un système de régulation qui est encore immature, le rendant incapable de réguler la sensation de douleur. Il est d’ailleurs important de souligner que les études ont pu démontrer que l’on pouvait parler de douleur dès le terme de cinq mois de grossesse (7). Peu de travaux ont été réalisés sur la douleur du nouveau-né à la maternité, celles-ci sont plus nombreuses dans les unités de néonatalogie et réanimation pédiatrique. Le pédiatre Olivier Fresco écrit dans son livre "Entendre la douleur du nouveau-né, aux confins de l’oubli" (8), parut en 2007, que les services de maternité ont encore beaucoup de progrès à faire dans l’utilisation des échelles de la douleur du nouveau-né. Il a relevé une sous-estimation de la douleur du nouveau-né après la réalisation d’une manœuvre obstétricale et que l’évaluation de la douleur n’est pas toujours réalisée, car encore peu prise en compte dans les protocoles de soins d’accueil du nouveau-né.
Aujourd’hui, quelle est la prise en charge de la douleur des nouveau-nés ? Vous avez étudié celle de la maternité de Poitiers, pouvez-vous nous en dire plus ?
Aujourd’hui dans les services de maternité, la prise en charge de la douleur vise à mettre en place une analgésie avec du paracétamol pour les nourrissons nés par extraction instrumentale et manifestant des signes de douleurs lors de l’examen clinique, réalisé en salle de naissance. L’administration de saccharose, à visée antalgique lors d’une ponction veineuse, par exemple, est aussi largement utilisée dans les maternités de France et a montré ses bénéfices. Pour mon mémoire de fin d’études *, j’ai eu l’opportunité de travailler sur la traçabilité de l’évaluation de la douleur des nouveau-nés en salle de naissance et lors du séjour à la maternité au CHU de Poitiers. J’ai également étudié quelles thérapeutiques étaient mises en place par les professionnels de santé pour y pallier. Lors de nos analyses, le manque de traçabilité sur l’évaluation de la douleur des nouveau-nés au CHU de Poitiers a pu être identifié. Lors des examens cliniques initiaux et de sorties de maternité, aucune échelle n’a été utilisée pour coter la douleur, mais nous avions pu remarquer qu’une évaluation était quand même, réalisée par les professionnels de santé, puisque des notions de douleurs ou la mise en place d’antalgiques médicamenteux ont pu être tracés et relevés dans les dossiers médicaux. Durant le séjour à la maternité, une échelle DAN a été cotée quotidiennement afin d’évaluer la douleur du nouveau-né ; mais cette échelle n’est pas la plus adaptée à une évaluation du confort du nouveau-né contrairement à l’échelle EDIN. Les seules prises en charge de la douleur que nous avons pu retrouver dans les dossiers portaient sur la mise en place de paracétamol, les autres moyens non pharmaceutiques n’ont pas été retrouvés. Les professionnels de santé de Poitiers sont pourtant sensibilisés à la prévention de la douleur, et intègrent les moyens non pharmaceutiques au quotidien dans leur pratique notamment après l’accouchement. Les moyens non pharmaceutiques mis en place sont par exemple l’encouragement du peau à peau, qui a montré ses bénéfices sur l’apaisement des nouveau-nés après l’accouchement, la mise en place de stratégies environnementales afin de diminuer le stress du nouveau-né (2).
Selon vous, quelles sont les perspectives d’améliorations ?
La mise en place d’échelle d'évaluation dans le dossier du nouveau-né lors de moment stratégique pourrait permettre une amélioration de la prise en charge si le dépistage est à encourager. Par exemple, en proposant de coter l’échelle EDIN à l’examen clinique en salle de naissance et lors du séjour à la maternité au moins trois fois par jour comme le conseillent les experts du groupe Pediadol.
Avant et après les gestes potentiellement douloureux, la société canadienne de Pédiatrie (2007) encourage, quant à elle, les équipes à utiliser l’échelle DAN.
La formation continue des professionnels de santé est primordiale pour leur permettre de se familiariser avec l’utilisation des échelles de cotation de douleur du nouveau-né et la mise en place de protocole de soin sur la prise en charge de la douleur (9). Il semble intéressant d’élaborer des protocoles ou l’on intègre une prise en charge pharmaceutique de la douleur telle que la mise en place de paracétamol ou de saccharose. Mais il semble aussi essentiel d’encourager la mise en place de traitement non pharmacologique de la douleur néonatale dans la pratique quotidienne telle que : le peau à peau, une lumière douce, un environnement peu bruyant, limiter les manipulations fréquentes et les gestes douloureux à répétitions, encourager l’emmaillotement, l’enveloppement, les positions en flexion, la succion non nutritive majorée avec l’utilisation de glucose (10) (11) (12).
Bibliographie :
1. Balmes J., Levy A, Pathologie du nouveau-né, G.Goin & Cie, p.303. 2. Leboyer.F, Pour une naissance sans violence, Seuil,1974.
3. Busnel M; C, Herbinet E., « L’aube des sens », Les cahier du nouveau-né, n°5, Stock/L. Pernoud, 1981.
4. Anand KJS, Hickey PR., « Pain and its effects in the human neonate and fetus », N.Engl. J.Med., 1987, 317, p.1321-9.
5. Anand KJS, Sippel WG, Aynsley-Green A, Randomized trial of fentanyl anesthesia in preterm babies undergoing surgery : effets on the stress reponse", Lancet 1987, I, p. 243-8.
6. Annequin D, « Douleur de l’enfant : une reconnaissance tardive », La Recherche, novembre 2000, 336, p. 42-7.
7. Gall. O., « Voie anatomiques et physiologie de la nociception chez le nouveau-né et l’enfant », in Ecoffey C. Murat I., La douleur chez l’enfant, Médecine-Sciences, 1999, p. 3-10.
8. Fresco O., Entendre la douleur du nouveau-né, Aux conflits de l’oubli, Cahier n°1, Belin, 2004, 190 p.23-104-110.
9. Ageorges.D. Prise en charge de la douleur prolongée du nouveau-né à terme en salle de naissance. [Mémoire]. Université Paris Descartes ; Ecole de Sages-femmes de Baudelocque. 2010.
10. Stevens B, Gibbins S, and Franck L S. Treatment of pain in the neonatal intensive care unit. Pediatr Clin North Am, 2000. 47(3): p. 633-50.
11. Campos R G. Soothing pain-elicited distress in infants with swaddling and pacifiers. Child Dev, 1989. 60(4): p. 781-92.
12. Bellieni C V, Bagnoli F, Perrone S, Nenci A, Cordelli D M, Fusi M, Ceccarelli S, and Buonocore G. Effect of multisensory stimulation on analgesia in term neonates: a randomized controlled trial. Pediatr Res, 2002. 51(4): p. 460-3.
* Prise en charge de la douleur du nouveau-né en maternité : évaluation des pratiques professionnelles au CHU de Poitiers – Audrey Duvrac – Université de Poitiers Faculté de Médecine et de Pharmacie de Poitiers École de Sages-femmes de Poitiers - 2019