Céline Lemay*, sage-femme à Montréal, poursuit actuellement son engagement au niveau de la formation des sages-femmes à l’université des 3 rivières. Elle est l'auteure de « La mise au monde – Revisiter les savoirs », elle nous en dit plus sur son 1er ouvrage.
Pourquoi avez-vous écrit cet ouvrage ?
Je me suis mise à l’écriture d’un livre qui est bien au-delà de la physiologie, parce qu’un des éléments, c’est de ne pas croire que la mise au monde est la physiologie de la mise au monde, même si elle est pertinente, fascinante et que les nouvelles recherches sont incroyables. Je voulais puiser dans les savoirs sur la mise au monde, sur le corps, sur le devenir mère, le placenta, la spiritualité... Changer de façon importante ce que je souhaitais faire connaître, faire comprendre et amener des prises de conscience pour les lecteurs.
Pourquoi ce titre "La mise au monde" ?
L’accouchement est trop ancré dans une dimension biomédicale, depuis le début du 20e siècle, on considère qu’il est un évènement médical, qu’il doit absolument se dérouler sous l’égide d’un médecin et dans un hôpital.
Parler de la mise en monde me permettait d’être ailleurs et donc d’explorer les tous ses éléments importants.
Le mot essentiel est « monde », parce qu’il note notre arrivée dans le monde, cela parle de nous, il s’agit d’un évènement qui est de loin beaucoup plus social que biologique et médical.
Parler de la mise au monde permet de parler de nous, de l’humain, de la condition humaine qui est complexe. Elle permet aussi d’explorer la compréhension de cet évènement, fondateur de nos vies et de nos sociétés
Quels messages faites-vous passer ?
Ne pas croire que la mise au monde est la physiologie de la mise au monde ou bien la biologie des phénomènes. On ne peut pas étudier simplement les hormones et faire en sorte qu’elles fonctionnent pour croire que l’on prend soin de la physiologie.
Le savoir biomédical est insuffisant pour nous faire comprendre ce que c’est dans sa complexité, sa profondeur, sa grandeur. Tous les savoirs, l’histoire, l’anthropologie, la psychologie, la philosophie doivent être mobilisés pour mieux comprendre pour agir de façon plus pertinente plus humaine.
On a tendance à voir l’accouchement comme un évènement risqué qui nécessite une médicalisation. Ce livre, c’est pour ouvrir des pistes de réflexion ?
La mise au monde est un calcul linéaire dans un milieu médical qui a été construit, instauré à partir de l’ère industrielle.
Il y a un temps biologique, personnel, qui ne tient pas compte de l’horloge. Pourtant on installe les étapes de l’accouchement dans le temps de l’horloge et de l’institution. Mais ce temps contrôlé est-il en phase avec la physiologie? Non, il arrive, qu’un travail soit plus long sans pour autant être plus dangereux… La construction du phénomène, nous fait percevoir ou concevoir que c’est risqué, qu’il y a des dystocies, il y a trop d’interventions. C’est un paradigme qui a besoin d’être questionné minimalement.
Ce n’est pas un livre pour dénoncer ou proposer des solutions mais il ouvre le sujet sur toutes ses dimensions alors que l’on est pris dans des catégories de pensées et de formations au sujet de la mise au monde. Le livre permet d’ouvrir et de mieux comprendre. Je souhaite qu’il soit utilisé pour apprendre, comprendre, prendre conscience pour ceux qui étudient et qui œuvrent actuellement autour de la naissance.
Ce n’est pas un livre sur les sages-femmes ou sur l’accouchement à la maison mais sur la mise au monde. Dans mes travaux académiques j’ai côtoyé des disciplines des sciences humaines et sociales qui me permettent un autre regard tout en m’appuyant sur l’evidence base medicine. Le livre contient d’ailleurs une vaste bibliographie.
Je peux proposer dans le livre un éclairage différent, d’ouvrir d’autres perspectives, d’être là pour les possibles et je crois que cela peut être bénéfiques autant pour les sages-femmes, que pour les femmes ! Il permet de réfléchir et je suis heureuse de le proposer, c’est une bonne nouvelle pour enrichir nos représentations sur la mise au monde socialement et professionnellement. Et comme je disais à la toute fin du livre, peut-être que c’est une occasion de ré enchanter le monde de la naissance.
* Engagée durant de nombreuses années dans une pratique de sage-femme au Québec, Céline Lemay s’est impliquée dans les démarches pour la reconnaissance légale de la profession. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences humaines appliquées et d’une maîtrise en anthropologie de l’Université de Montréal.
©Les Presses de l’Université de Montréal
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