Des femmes ayant des rapports sexuels avec les femmes ont récemment libéré la parole sur la toile. Manque de considération, jugement, malaise, ou désinformation en termes de santé sexuelle, certaines retiennent une mauvaise expérience de leur suivi gynécologique. Conclusion : Elles désertent !
Cécilia Giles, sage-femme, a traité dans son mémoire le suivi gynécologique des femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes, et particulièrement ses déterminants, ses enjeux et ses perspectives. À quelles difficultés se heurtent ces femmes ? Comment améliorer leur prise en charge ? Le point par Cécilia.
Il y a aussi des risques d’IST !
Alors que les hommes gays font largement l’objet de campagnes de prévention et de dispositifs spécifiques de santé depuis l’apparition de l’épidémie du VIH, les femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes sont absentes des discours de prévention.
La France a publié très peu d’études sur la santé sexuelle et reproductive des lesbiennes pourtant les recherches internationales révèlent que le fait d’être une femme ayant des rapports homosexuels est associé à des disparités en termes de suivi gynécologique.
On retrouve dans les études que les femmes n’ayant jamais eu de rapports avec des hommes ont bénéficié de leur premier frottis à un âge plus avancé et d’un suivi moins régulier comparativement aux femmes ayant des rapports avec des hommes (1). Dans l’Enquête Presse Gays et Lesbiennes (EPGL) réalisée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) en 2011, les femmes n’ayant eu des rapports qu’avec des femmes dans les 12 derniers mois étaient 50% à avoir eu un frottis de dépistage dans les trois dernières années (2). Celles ayant eu des rapports avec des femmes et des hommes étaient 60% et celles n’ayant eu que des partenaires hommes étaient 65%.
Le fait que les femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes entrent généralement plus tôt dans la vie sexuelle et qu’elles aient plus de partenaires sexuels (y compris masculins) que les autres femmes accroit leur susceptibilité de contracter une infection sexuellement transmissible (IST). Ainsi, les données de l’Enquête nationale sur les violences faites aux femmes (ENVEFF) révèlent que la fréquence d’IST au cours de la vie était significativement plus élevée pour les femmes ayant eu des rapports homosexuels (25% versus 9% pour les femmes exclusivement hétérosexuelles) (3). De même, dans l’enquête Contexte de la sexualité en France (CSF), les femmes déclarant des pratiques homosexuelles étaient 12% versus 3% pour les femmes hétérosexuelles à rapporter avoir eu une infection sexuellement transmissible dans les cinq dernières années (4).
En ce qui concerne le papillomavirus humain (HPV), qui se transmet sexuellement entre hommes et femmes, celui-ci reste le plus souvent à l’état latent dans l’organisme avant de se répliquer et d’entrainer des dysplasies du col de l’utérus (5). Or, on sait que la majorité des femmes lesbiennes (53-99%) ont eu au moins un partenaire masculin au cours de leur vie, le plus souvent au début de leur vie sexuelle, et qu’un certain nombre (6-30%) continue à en avoir, occasionnellement ou de façon régulière (3, 4, 6-8). Par ailleurs, le papillomavirus humain peut se transmettre sexuellement entre femmes. Une étude a ainsi montré la présence de HPV chez 6% de femmes qui n’avaient eu que des partenaires féminines (9). D’autres auteurs ont également montré la présence de lésions précancéreuses du col de l’utérus dans cette population (10, 11). Il est donc essentiel de réaliser le dépistage du cancer du col de l’utérus par le biais d’un frottis chez toutes les femmes, indépendamment de leur orientation sexuelle.
Désinformation et suivi inadapté
Un sentiment d’immunité sexuelle a été décrit par une grande majorité des femmes. Leurs rapports sexuels entre femmes ne sont pas protégés et elles ont peu recours au dépistage des IST. Elles associent la consultation gynécologique à la contraception et aux risques hétérosexuels. Cette perception d’une absence de risque se trouve renforcée par une absence d’information et de guidance des professionnel.le.s de santé et des politiques publiques, qui ne portent pas de discours sur le parcours de santé gynécologique d’une femme ayant des rapports homosexuels. Les professionnel.le.s de santé n’informent pas sur l’importance de conserver un suivi gynécologique régulier, probablement par manque de formation et de réflexion sur le sujet. Cet état de fait expose les femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes aux inégalités sociales de santé, puisque le savoir concernant la prévention (digue dentaire, gants, préservatifs pour les objets sexuels) et la santé gynécologique reste confiné aux espaces militants et donc accessible aux femmes les plus insérées dans le milieu lesbien.
La méconnaissance ou l’absence de considération pour la sexualité entre femmes conduit une grande partie des femmes ayant des rapports homosexuels à ne pas considérer la consultation gynécologique comme un espace ressource pour leur santé. Elles hésitent à dévoiler leur orientation sexuelle, ce qui renforce la présomption d’hétérosexualité largement répandue chez les professionnel.le.s et peut résulter en une offre de santé inadaptée.
Trouver le « bon » praticien : un déterminant pour le suivi gynécologique
Les femmes ayant des rapports sexuels avec les femmes se retrouvent face à des difficultés pour leur suivi gynécologique. Entre l’absence de « modèle social à consulter » et les mauvaises expériences en consultation suite au dévoilement de l’orientation sexuelle des femmes se retrouvent dans une discontinuité voire une rupture de leur suivi. Certaines sont convaincues qu’il n’y a plus d’intérêt à consulter tandis que d’autres s’interrogent sur la nécessité de continuer à consulter ou non, et à quelle fréquence.
Néanmoins, le fait de trouver « le/la bon.ne praticien.ne » semble déterminant dans la continuité du parcours gynécologique. D’ailleurs, des femmes parlent d’un phénomène de recommandation de praticiens « safe », dans le milieu lesbien ou par le biais de listes de soignants référencés par les patientes elles-mêmes.
Une approche centrée sur la personne
Plusieurs études internationales sur l’interaction soignant.e/soignée pour les femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes ont montré que lorsque le médecin est informé de l’orientation sexuelle de sa patiente, cela peut avoir des impacts positifs sur le recours aux soins. Une étude canadienne a ainsi montré que le fait d’interroger l’orientation sexuelle de la patiente et d’adopter une attitude positive vis-à-vis de celle-ci est associé à un coming out plus important. Le dévoilement de l’orientation sexuelle est lui-même associé à une utilisation plus fréquente des services de santé (12).
Il n’est pas question de préconiser une approche particulière pour les femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes, mais plutôt une approche centrée sur la personne prenant en compte les différences individuelles. Les enjeux sont avant tout d’offrir un environnement accueillant et sécurisant et d’aborder sans a priori ni de jugement les questions de sexualité, d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Le dialogue permet d’adapter les conseils de prévention, les dépistages et les éventuels traitements aux pratiques réelles, puisque celles-ci ne coïncident pas nécessairement avec l’orientation sexuelle déclarée ou supposée. Le fait de prendre conscience de ses propres préjugés et de la manière dont les spécificités des patientes peuvent conduire à des inégalités de santé me paraît essentiel. Il est important de proposer l’examen gynécologique (à adapter à chacune), les dépistages des cancers du col de l’utérus et du sein et la prescription de la pilule à d’autres fins que la contraception (notamment pour améliorer des dysménorrhées).
Cécilia Giles, Le suivi gynécologique des femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes. Déterminants, enjeux, perspectives. Université Paris Descartes, École de sages-femmes Baudelocque. Juin 2018
Références
(1) Genon C, Chartrain C, Delebarre C. Pour une promotion de la santé lesbienne : état des lieux des recherches, enjeux et propositions. Genre Sex Société [Internet]. Juin 2009 [consulté le 12 mai 2018];(1). Disponible sur: http://journals.openedition.org/gss/951
(2) Velter A, Bouyssou A, Saboni L, Bernillon P, Sommen C, Methy N. Enquête Presse Gays et Lesbiennes (EPGL) 2011. InVS, ANRS; 2011.
(3) Saurel-Cubizolles M-J, Lhomond B. Les femmes qui ont des relations homosexuelles : leur biographie sexuelle, leur santé reproductive et leur expérience des violences. Gynécologie Obstétrique Fertil. 2005;Vol. 33(10):776‑82.
(4) Bajos N, Bozon M. Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé. La Découverte. Paris; 2008. 612 p. (Hors Collection Social).
(5) INCa. Module de formation e-learning sur la détection précoce du cancer du col de l’utérus [Internet]. [consulté le 12 mai 2018]. Disponible sur: http://www.e-cancer.fr/formations-demographie/outils-de-formation
(6) Diamant AL, Schuster MA, McGuigan K, Lever J. Lesbians’ Sexual History With Men: Implications for Taking a Sexual History. Arch Intern Med. Déc 1999;159(22):2730‑6.
(7) Fethers K, Marks C, Mindel A, Estcourt C. Sexually transmitted infections and risk behaviours in women who have sex with women. Sex Transm Infect. Oct 2000;76(5):345‑9.
(8) Bauer GR, Welles SL. Beyond Assumptions of Negligible Risk: Sexually Transmitted Diseases and Women Who Have Sex With Women. Am J Public Health. Août 2001;91(8):1282‑6.
(9) Marrazzo JM, Koutsky LA, Kiviat NB, Kuypers JM, Stine K. Papanicolaou test screening and prevalence of genital human papillomavirus among women who have sex with women. Am J Public Health. Juin 2001;91(6):947‑52.
(10) Bailey JV, Kavanagh J, Owen C, McLean KA, Skinner CJ. Lesbians and cervical screening. Br J Gen Pr. Juin 2000;50(455):481‑2.
(11) Massad LS, Xie X, Minkoff H, Darragh TM, D’Souza G, Sanchez-Keeland L, et al. Abnormal Pap tests and human papillomavirus infections among HIV infected and uninfected women who have sex with women. J Low Genit Tract Dis. Janv 2014;18(1):50‑6.
(12) Steele LS, Tinmouth JM, Lu A. Regular health care use by lesbians: a path analysis of predictive factors. Fam Pract. Déc 2006;23(6):631‑6.