Sage-femme pendant 5 ans, Audrey Dugué poursuit son engagement pour que la bienveillance et la « réhumanisation » regagnent l’univers hospitalier en maniant l’art de la comédie.
Paroles de sages-femmes : Pouvez-vous parler de votre parcours professionnel ? Pourquoi s'orienter vers sage-femme ?
Audrey Dugué : Mon choix s'est porté relativement tard sur le métier de sage-femme. En terminal, ayant renoncé à mon désir de devenir comédienne, j'ai choisi de m'inscrire à la faculté de médecine. Je ne connaissais pas le métier de sage-femme à ce moment-là, je n'y avais jamais songé. Ma sœur a accouché au moment où j'entrais à l'université de médecine, et j'ai découvert qu'il y avait à l'issue du concours, la possibilité d'intégrer l'école de sage-femme. Je me suis dit que c'était une belle alternative au monde du théâtre. Mais dans un coin de ma tête, il y avait toujours ce rêve, un jour peut-être, d'être comédienne.
PDSF : Pourquoi avoir arrêté d'exercer ? Comment le théâtre est-il arrivé dans votre vie ?
AD : Dans ma famille, nous n'allions pas au théâtre. À des concerts, des festivals de musique, oui. Mais le monde du théâtre m'était complètement étranger. Pourtant, sans jamais y être allée, j'en éprouvais une attirance très forte. La première fois que je suis allée au théâtre, j'avais 15 ans. J'y étais allée seule, n'ayant trouvé personne assez intéressé par l'idée, pour m'y accompagner. Et ça a été une révélation ; je me souviens avoir été subjuguée du début à la fin, bouleversée, en larmes. J'ai su que c'était le métier que je voulais faire : comédienne. Sauf que ce n'était pas un choix qui semblait raisonnable, et que je me suis heurtée à ces paroles « il faut distinguer les métiers, des passions ». Alors ramenée à un manque de maturité, ce désir un peu inavouable un peu honteux est resté secret.
J'ai attendu la fin des études de sage-femme, pour passer les auditions des concours et intégrer les conservatoires. Puis j'ai attendu la fin de ma formation de comédienne pour arrêter le métier de sage-femme, que j'ai exercé pendant cinq ans.
Je ne regrette pas une seconde d'avoir exercé le métier de sage-femme. Au fond, je remercie infiniment ceux qui m'ont découragée à faire du théâtre. Parce que je l'ai vraiment beaucoup aimé ce métier.
PDSF : Vous avez écrit une pièce de théâtre, de quoi parle-t-elle ?
AD : C'est une plongée dans l'univers obstétrical. La pièce de théâtre « Premier Cri » nous invite à suivre quelques heures de la vie d'une sage-femme. De naissance en urgence vitale, elle nous dévoile son quotidien en salle de naissance. Elle nous laisse entrer dans l'intimité du soin. Elle partage ses souvenirs, dévoile ses fantasmes et ses peurs, nous offre ses confidences. C'est aussi depuis les méandres de sa pensée que le spectateur est témoin de ce qui se déroule au cœur de l'hôpital.
C'est l'histoire de sa découverte de l'univers hospitalier et de ses rêves qui s'étiolent face à la violence de la réalité à laquelle elle n'était pas tout à fait préparée. Elle fait entendre la parole d'une mise au monde difficile, d'une course permanente contre le temps et la mort, d'une incompréhension qui parfois sépare les soignants des soignés, d'une déshumanisation, des atteintes réciproques à la dignité, mais parle aussi de cette douceur et de cette bienveillance essentielles à l'Être, des liens précieux à tisser, si brefs soient-ils, et d'une "réhumanisation" possible et nécessaire des relations à l'Autre.
Au-delà de ce que cela raconte de l'univers médical, l'hôpital est un miroir éloquent et fascinant de notre société.
PDSF : Que souhaitez-vous transmettre à travers ce projet ?
AD : Ce projet est né d'un désir, d'une nécessité profonde de dire, comme un débordement.
L'hôpital s'invitait souvent par bribes dans les conversations quand j'exerçais, puis prise dans un autre quotidien que celui de l'hôpital, les histoires se sont diluées au fil du temps. J'avais des projets en tant que comédienne, je trouvais un épanouissement dans un autre univers et je ne me suis plus préoccupée de mon passé de sage-femme. Et puis ce passé à l'hôpital a ressurgi, un matin, et c'est devenu une nécessité de le raconter, le mettre en mots, en corps, en mouvement, le faire renaître.
Je crois qu'en me lançant dans le travail, je ne savais pas exactement où cela irait. Je me suis laissée cette liberté-là, qui est de ne pas anticiper ni présumer, mais laisser les choses et les sens se révéler dans l'écriture.
J'ai entrepris un travail de remémoration, j'ai souhaité écrire au plus près des évènements passés, dire l'intime du mieux que j'ai pu, au plus proche de la vérité qui est la mienne, prendre soin de la réalité, afin de ne pas trahir, et la professionnelle que j'étais et ceux que j'ai côtoyés . Afin d'avoir suffisamment de matériaux pour le mettre ensuite en action et le transposer dans une démarche théâtrale. Le livrer sur scène dans toute son organicité, pouvoir le faire sentir, révéler le cacher, lever le voile sur ce que l'on croit connaître de la venue au monde et qui n'est pas tout à fait la réalité.
Finalement, je parle des relations humaines, de notre société, et du travail. Même s'il s'agit de l'univers hospitalier, je crois que cela reflète le monde du travail en général, et peut faire écho, même à quelqu'un ignorant tout du fonctionnement de l'hôpital -je pense notamment à cette course effrénée contre le temps et cette optimisation des tâches.
Ma volonté première n'était pas d'en faire une fable politique, en tout cas, au sens militant, mais le théâtre est politique, et en dévoilant l'intime, la fable que je souhaitais sociale est de fait involontairement éminemment politique.
C'est aussi la richesse et la difficulté de ce métier que j'ai envie de partager, et toutes les questions que cela pose dans notre rapport au monde et à l'Autre.
PDSF : Quels sont vos souhaits ?
AD : D'exulter ?, désir peut-être d'autant plus fort qu'il y a j'ai ce sentiment en tout cas, une forme de silence, d'abnégation, d'acceptation de leurs conditions de travail chez les sages-femmes, et cela sans jugement aucun, notre formation, notre volonté première étant d'accompagner, de faire au mieux pour un couple, de (servir au sens d'aider, de manière noble, et non pas 'servitude', la notion du mieux étant soumise aux conditions loin d'être optimales ; il y a une forme d'acceptation ?
Dévoiler ce que les gens croient connaître de la venue au monde.
Faire venir le respect, une certaine reconnaissance.
Aussi, bien sûr, faire vivre ce projet, le vendre à des programmateurs pour que ce projet puisse aller à la rencontre du public pour participer au festival d’Avignon.
©Audrey Dugué