Après avoir exercé dans tous les secteurs de la maternité en passant par la gynécologie, la fonction de cadre et de sage-femme coordinatrice jusqu’en 2016, Catherine Foulhy a souhaité poursuivre son exercice, malgré l’âge de la retraite, pour aider les femmes incarcérées.
Pourquoi cette orientation vers le milieu carcéral ?
Tout au long de ma carrière, je me suis toujours intéressée au bien-être des femmes, des couples qui étaient souvent dans des situations de grande misère. Depuis plusieurs années, une antenne carcérale se tenait au sein de l’hôpital et nous étions appelés pour y intervenir auprès des femmes en obstétrique ou en gynécologie , mais aussi pour recevoir celles en garde à vue et bien sûr, accompagner l’accouchement des femmes incarcérées avec toutes les contraintes judiciaires que cela impose. Je fais référence à la présence policière à un moment particulier de leur vie. Nous devions les aider avec beaucoup d’humanité, sans jugement ni peur, avec des femmes jeunes, voire très jeunes , seules, sans présence familiale… Dans les mois précédant mon départ à la retraite, j’ai été fortement impliquée dans une situation où une femme a découvert qu’elle était enceinte à son arrivée en prison, à 8 mois de grossesse. Suite à cet évènement la cheffe de service de l’unité sanitaire a permis mon intégration en tant que sage-femme vacataire au centre pénitentiaire de Riom, où j’exerce depuis octobre 2016.
Combien de centres pénitentiaires accueillent ces femmes en France ?
Il y a 29 établissements soit 76 places qui disposent d’une nurserie. Les sages-femmes de PMI y interviennent pendant la grossesse, ensuite quand l’enfant est née, il suit sa mère dans les conditions de vie cellulaire.
Sur convention avec certains établissements, des femmes peuvent bénéficier de soins de professionnels de santé en prison. Mais lorsqu’il n’est pas possible d’accéder à l’unité sanitaire, les
femmes sont extraites pour les consultations obligatoires et pour les échographies vers l’hôpital.
Sur le terrain, quel est votre quotidien ?
Je fais actuellement 2 vacations par mois de 4h. Je travaille en collaboration avec médecins, infirmières, psychiatres, psychologues, dentistes, radiologues, secrétaires et bien sûr avec les surveillants pénitentiaires mais aussi les juges. Je dois obéir aux conditions de de la vie en prison et dans le respect du secret mais je peux accompagner les femmes en consultations au CHU si besoin pour certaines pathologies gynécologiques ou obstétricales, rendre visite aux accouchées, organiser leur sortie ou transfert pour permettre la continuité des soins.
Au sein de la prison, je dispose d’un cabinet de consultation équipé aussi bien pour le suivi de grossesse que pour la gynécologie où je peux y réaliser des actions de dépistage et de prévention, organiser les IVG et en assurer ensuite la surveillance.
J’assiste aux staffs, aux rencontres de concertation autour de certaines situations nécessitant une mise au point commune pour poursuivre le suivi et assurer une meilleure prise en charge.
Quelles sont les difficultés d'exercer dans ce milieu ?
Travailler en milieu carcéral signifie accepter certaines contraintes. Il faut montrer patte blanche, avoir une carte spéciale d’habilitation pour pénétrer en respectant les horaires de visite des familles, qui restent prioritaires. Il faut être fouillé pour que l’on nous ouvre une première porte, on finit par adopter des tenues faciles à mettre dans un bac caméra pour ne pas sonner au passage du détecteur. Puis d’autres portes s’enchainent avant de parvenir dans l’unité sanitaire, il y a des escaliers à prendre avec d’autres prisonniers en sachant que nous avons un dispositif d’appel d’urgence donné dans la zone cellulaire. Il ne faut pas avoir peur, garder ses distances et éviter tout jugement. Il faut aussi se plier aux demandes des surveillants concernant les allers et venues des prisonnières. Elles sont toujours accompagnées sauf dans le cabinet de consultation, suivant leur délit, elles sont parfois surveillées par la lucarne mais j’ai pu obtenir un paravent pour faire les prélèvements et examens. Il faut veiller à leur sécurité, ne pas rencontrer les hommes dans le couloir, les femmes ne viennent que si elles le souhaitent, elles le font souvent par courrier interne. On inscrit de façon plus systématique les entrées ou transferts, la population carcérale bouge beaucoup, j’ai peu de refus.
Sur le plan thérapeutique, la prescription est parfois limitée selon les besoins, en particulier de certains produits chers et non stockés même pour la contraception. Elles sont affiliées à une caisse, mais tout n’est pas remboursé par la Sécurité sociale, alors il faut ‘’cantiner’’ et toutes n’ont pas beaucoup d’argent.
Il y a des lieux où même les produits d’hygiène sont payants pour la femme comme pour l’enfant et certains produits complémentaires, tels une collation, sont demandés sur prescription.Un autre problème est ce que l’on appelle la sortie sèche, cela veut dire qu’à la suite d’un jugement, si la peine équivaut au temps déjà passé en incarcération, elle doit sortir même si elle a un enfant avec elle ou habite à l’étranger. Le départ est le jour même. Il est donc difficile de les préparer à la sortie et leur vie difficile peut reprendre rapidement leur cours … « Les personnes libérées sans avoir pu obtenir d’aménagement de peine sont recondamnées dans 63% des cas dans les 5 ans qui suivent leur sortie de prison, alors qu’elles ne le sont que dans 39% des cas si elles ont bénéficié d’une libération conditionnelle, par exemple *».
Quelles sont les plus grandes difficultés des femmes incarcérées, en phase de devenir mère ?
Les difficultés pour ces femmes sont diverses et il ne faut pas oublier que l’incarcération peut avoir lieu à n’importe quelle stade de la grossesse : la séparation avec les autres enfants , la famille , la distance géographique , la culture , la langue , les mutations dans de nouveaux lieux , l’incertitude sur le temps de la peine , l’absence du père ,la solitude en prison , le regard des autres , le départ de l’enfant après 18 mois , les moyens financiers pour subvenir à leurs besoins , les conditions de naissance. Elles n’ont aucune indépendance et pouvoir de décision, la surveillance est constante. Parfois elles sont menottées et toujours en présence de 2 surveillants, elles doivent accepter les fouilles, l’enfermement. Les barreaux font aussi partie du paysage de l’enfant.
Pensez-vous que ces femmes ont besoin d'un accompagnement spécifique ? Si oui lequel ? Et par quels professionnels ?
En effet, leur accompagnement doit revêtir de nombreux axes : favoriser la relation mère-enfant, être encore plus à l’écoute , veiller à leurs besoins , préparer l’allaitement , dépister les pathologies de tout type même psychiatriques, assurer la synchronisation en prison et maternité , leur permettre d’allaiter leur enfant même lorsque celui-ci est hospitalisé , humaniser l’incarcération… Une équipe coordonnée est capitale pour une grossesse complexe parfois inattendue.
La sage-femme peut couvrir, du fait de sa formation, des soins en gynécologie et en obstétrique et en étant sur les lieux, elle devient un fil conducteur et reconnu. Elle peut éviter aux femmes des sorties difficiles, un suivi « haché ». Elle donne de l’humanité à cette femme « cassée » par les évènements , la replace dans son rôle de mère aimante et adapté à la maternité , elle a aussi une action de prévention et de dépistage reconnue , on est aussi bien prescripteur que préleveur et de ce fait les femmes acceptent plus facilement le suivi et les conseils , on prend du temps avec elles , un temps très spécifique à ce corps de femme qui reprend une place par ces consultations qui leurs sont réservées , on ose parler sexualité , esthétique , avenir …Je ne regrette absolument pas cette expérience, au contraire, c’est enrichissant même si j’éprouve de la tristesse devant certaines situations notamment quand elles reviennent pour une nouvelle incarcération. D’autres possibilités de vacations intramuros devraient se développer, cela permettrait d’accéder aux femmes de tout âge, enceinte ou non pour plus d’efficacité dans l’adhésion à un suivi.
*Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales – libération sous contrainte.Justice.gouv.fr