« S’il part, la maternité devra fermer », pourtant son départ ne peut être que salutaire pour les autres soignants, en effet, il est l’auteur de violences sexuelles. Des histoires comme celles-ci, la journaliste Cécile Andrzejewski en a recueillies plusieurs dans son ouvrage « Silence sous la blouse ». À travers de nombreux témoignages de soignantes, elle met le doigt sur un sujet tabou, celui des violences sexuelles à l’hôpital, une réalité hospitalière trop souvent étouffée.
Pourquoi avoir écrit un livre sur les violences à l'hôpital?
Depuis mes débuts de journaliste, je travaille assez souvent sur les violences. J’avais participé au projet « Zero Impunity » sur les violences sexuelles, en zone de guerre, et publié, sur Mediapart, des enquêtes portant sur ce sujet. Il y avait cette affaire dans un hôpital où un médecin anesthésiste avait agressé sexuellement une infirmière et dans ce même établissement, un chirurgien terrorisait complètement ses équipes. L’infirmière a fini par démissionner, car si au début la direction lui présentait son soutien, elle s’est très vite retournée contre elle. Quant au chirurgien, pour les hautes instances c’était « Oui, mais quand même il prend de jeunes infirmières et les forme… ». Alors ce n’était donc pas si grave…
À la suite de ces articles, des syndicalistes et des avocats m’ont contactée pour me partager qu’eux aussi avaient été confrontés aux mêmes situations et qu’elles étaient assez courantes dans les hôpitaux publics. Cela a éveillé ma curiosité. J’ai alors investigué sur ce système que l’on retrouve, quelles que soient les régions de France, quelle que soit la taille de l’hôpital : des femmes sont agressées, elles ne sont pas soutenues par la direction, l’agresseur est protégé et les victimes démissionnent.
Vous avez alors décidé d’interroger ce « système »…
J’ai rencontré les syndicats, le centre de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction (CNG), l’Ordre des médecins pour essayer de comprendre la mécanique derrière ce système. Il en ressort que l’hôpital est un lieu très violent à tous les niveaux. C’est frappant, c’est l’endroit où l'on soigne, on peut s’imaginer que c’est un lieu préservé. C’est un lieu où l’on sait comment fonctionnent les violences, où l'on essaye de les prévenir, et pourtant, il est d’une très grande violence.
Il y a une guerre entre les administratifs et le personnel médical, c’est déjà deux hiérarchies qui se superposent au sein desquelles existent des rapports de force. La hiérarchie est très genrée, les postes de pouvoir sont occupés majoritairement pas des hommes. À l’hôpital, il y aussi cette tradition « carabin » où mal se comporter, mal parler est intégré dès les études. On ajoute le manque de moyen inhérent aux hôpitaux et tout cela crée un cocktail explosif, un environnement particulier et fertile pour les violences sexuelles.
Le plus troublant, c’est que ces violences intra hospitalières sont connues, mais tous ferment les yeux. Les pairs protègent l’agresseur tout comme la direction qui évoque souvent une problématique de démographie médicale. L’agresseur devient alors intouchable. C’est comme cette affaire où un anesthésiste était accusé par une trentaine de personnes de fait de harcèlement moral et d’agression sexuelle. Tout ce qu’on a osé rétorquer aux victimes qui ont porté leur histoire était « s’il part, la maternité va fermer parce qu’on n’a plus d’anesthésistes ».
Votre ouvrage contient des témoignages de victimes, avez-vous eu des difficultés pour les recueillir ?
Comme je travaillais sur ces questions déjà avant de me lancer dans cet ouvrage, je détenais plusieurs contacts dans les associations, j’avais été aussi sollicitée par des syndicalistes. Recueillir des témoignages de victimes agressées sexuellement n’a donc pas été aussi compliqué. Ensuite, le mouvement #MeToo est arrivé et il a vraiment encouragé les femmes à parler de leur histoire.
Y a-t-il un témoignage qui vous a particulièrement bouleversée ?
En fait, toutes les histoires sont fortes. Les femmes mènent un combat, elles ne se connaissent pas, mais elles souhaitent unanimement se battre non pas pour elles, mais pour celles qui arriveront après elles.
Elles souffrent de ces violences, mais l’histoire ne s’arrête pas là car dans la majorité des cas elles ne sont pas écoutées par la direction, leurs collègues leur tournent le dos et elles finissent pas partir de l’établissement.
Il y a deux femmes Anne-Lise et Justine, omniprésentes dans le livre. Anne-Lise travaillait dans un laboratoire à l’hôpital. Elle a toujours souhaité faire ce métier, travailler pour le service public, mais le système l’a écœurée, elle a démissionné.
Pour Justine, c’est pareil. Elle demandait un poste similaire pour ne plus travailler avec son agresseur. On lui a proposé un poste de nuit dans un service complètement différent. Ce qui est triste, c’est que ces femmes se battent pour essayer de préserver d’autres femmes et qu’elles se sentent encore blessées après, puisque le monde hospitalier leur tourne le dos pour que l’affaire s’étouffe.
Dévoiler leurs histoires a-t-il été libérateur pour ces femmes ?
Ce qui les a rassurées, c’est de prendre conscience qu’elles n’étaient pas seules. Lorsqu’on est une victime, on a tendance à être dans la culpabilité et à penser que c’est de sa faute. Elles ont compris qu’elles menaient un combat contre une « grosse machine ». Témoigner les a aidées à prendre un peu distance par rapport à l’évènement.
Parmi les témoignages que vous avez entendus, peut-on dire qu’il y a un profil type d’agresseur ?
Dans les histoires que l’on m’a partagées, plus les responsabilités sont grandes, plus les postes sont reconnus, plus il y a de risques. Dans la plupart, il y avait un rapport hiérarchique, elles ne pouvaient pas refuser. Celui-ci entraîne des dérives.
Votre livre a mis en lumière l’omerta qui règne dans les hôpitaux. A t-il alerté les pouvoirs publics ? Qu’est-ce qui a changé ?
Plusieurs victimes m’ont contactée pour en savoir plus sur ce qu’elles pouvaient faire, à qui elles pouvaient s’adresser. Le livre leur a permis de comprendre que ce qui leur arrivait n’était pas normal. Pour ce qui est des pouvoirs publics, je n’ai malheureusement eu aucun retour...