De sage-femme clinicienne à enseignante en passant par expert auprès des tribunaux, Catherine Bardin a exploré de nombreuses facettes du métier. Elle nous éclaire sur cette dernière fonction, assez méconnue des sages-femmes.
Catherine Bardin a été sensibilisée dès le début de sa carrière sur les risques médico-légaux par un médecin, chef de service expert auprès des tribunaux. L’augmentation des procédures judiciaires au milieu des années 70 a contribué à son orientation. À cette période, aucune sage-femme ne figurait parmi les experts, aucune n'était nommée pour une mission d'expertise alors que certaines voyaient leurs responsabilités engagées dans des procédures judiciaires. Quelques sages-femmes ont alors présenté leur candidature auprès des Cours d'Appel avec les encouragements des obstétriciens. Et c'est alors qu'en 1986, Catherine a commencé cette fonction d’expertise médico-judiciaire et ce pendant presque 30 ans.
Sage-femme et expertise judiciaire : Faut-il se former ?
Avant 2004, la Cour d'Appel de Paris organisait des journées de formation continue chaque année. Depuis, il existe d'autres formations destinées aux experts dans les congrès de gynéco-obstétrique, des formations spécifiques organisées par les associations d'experts, ou même un DIU dans certaines universités (comme le DIU d’ «aptitude à l’expertise médicale »). Même si pour déposer sa candidature, il n’est pas obligatoire d’être titulaire d'un DIU de droit médical ou d'expertise médicale, évidemment, cette qualification supplémentaire reste très appréciée.
Comment candidater ?
Toute sage-femme française âgée de moins de 70 ans, quel que soit son mode d'exercice, peut demander son inscription sur la liste des experts des Cours d'Appel des Tribunaux de Grand Instance. L'expérience professionnelle considérée doit être supérieure à 10 ans en pratique, mais peut être variable.
Depuis la loi du 11/02/2004, relative à la modification du statut des experts judiciaires, la première demande d'inscription est probatoire (3 ans). À l'issue des 3 années, une 2ème candidature est présentée et en cas d'acceptation, la, ou le candidat est inscrit pour 5 ans renouvelables, ou pas. Les renouvellements s'effectuent tous les 5 ans sur demande ; ils ne sont pas systématiques.
Pour candidater, les dossiers sont à retirer auprès des tribunaux ou sur leur site internet, ils doivent obligatoirement contenir une copie de la pièce d'identité, une copie du diplôme de sage-femme et autres DIU, DU, etc, un extrait de casier judiciaire, un CV détaillé du parcours professionnel (secteurs d'activité, durée de l'activité clinique), les formations continues suivies, des titres et travaux publiés (très important), ainsi qu’une lettre de motivation.
Quelles sont les obligations des sages-femmes experts ?
Il faut savoir que l'expert est un professionnel nommé par un juge pour une mission d'ordre clinique et technique ; il ne dit pas le droit, il ne juge pas. Mais il doit obligatoirement prêter serment, se prêter à un devoir d'impartialité, de discrétion, et d'objectivité, il a un devoir de réserve et l’expert doit aussi entretenir des relations courtoises avec les parties et les autres experts. Le respect du secret professionnel intègre également ses obligations.L’expert doit aussi :
Respecter et remplir la mission dans les délais fixés par le juge sous peine de nullité
respecter le principe de contradiction dans les réunions : toutes les parties doivent s'exprimer librement en présence les unes des autres (sauf dans le cadre d'une procédure pénale où des mises en examen sont prononcées)
remettre un pré-rapport à la demande du juge, celui-ci le transmettra aux parties qui peuvent contester
répondre à toutes les questions de la mission et rien que la mission
remettre un rapport définitif dans les délais demandés (sauf prolongation autorisée), signé par tous les experts
Quelles sont les différentes procédures pour lesquelles une sage-femme peut être appelée ?
Il s’agit de tous les dossiers à risques médico-judiciaires : procédures administratives, civiles, pénales. Pour ma part, j’ai surtout une expérience dans le cadre des procédures pénales avec constitution de partie civile (2 à 3 dossiers par an).
- Dans le cas de la procédure administrative, la réparation financière du préjudice est à la charge de l'établissement public (FPH), les sages-femmes salariées de la FPH peuvent être amenées à justifier la prise charge lors d'une réunion d'expertise, mais n'engagent pas leur responsabilité sauf faute détachable du service. Le délai d'introduction d'une action administrative est de 4 ans.
- Dans la procédure civile, il s’agit de la réparation financière d'un préjudice subi lors de l'accomplissement de soins. L'indemnisation du préjudice est assurée par les assurances des professionnels ou des établissements hors FPH (si les établissements privés ou les sages-femmes ont souscrit une assurance). Les indemnisations d'un handicap lourd (taux d’IPP) représentent plusieurs millions d'euros. Le délai d’introduction d’une action civile est de 10 ans ou plus.
- En ce qui concerne la procédure pénale, l'engagement de la responsabilité pénale est individuel et personnel, associé le plus souvent en obstétrique à l'engagement de la responsabilité civile. Si la procédure pénale est liée à une demande de réparation financière, elle reste une procédure pénale malgré tout. Dans ce dernier cas, l'indemnisation du préjudice ne pourra se faire que si la responsabilité pénale est reconnue et engagée, car le "pénal tient le civil en l'état" y compris s’il y a un préjudice physique reconnu. Dès lors que la faute pénale n'est pas reconnue, il n'y a pas de lien de causalité donc pas d'indemnisation. Dans ce cas, il faut envisager la réparation au titre de l'aléa thérapeutique.
Dans ce type de procédure, la responsabilité est engagée pour un délit constitué sur la base des articles suivants du Code pénal :
- Atteinte involontaire à la vie ou homicide involontaire
- Atteinte à l'intégrité physique
- Mise en danger de la personne, délaissement, non-assistance, omission de porter secours
Les sanctions sont des amendes et peines de prison¨ (avec sursis en général). L’indemnisation du préjudice est en sus dès lors que la responsabilité pénale est reconnue. .
Pour quels types de dossiers peut-être une/un sage-femme ?
Il peut s’agir :
L’hypoxie fœtale in utero par défaut d'analyse et d'interprétation du tracé du rythme cardiaque fœtal sous-estimation de l'état fœtal
Le défaut de maîtrise de la technique des épreuves du travail, dynamique ou mécanique : négligence ou méconnaissance des signes de disproportion foeto- pelvienne , négligence des tracés de contractions utérines, signes de pré-rupture ou rupture utérine non diagnostiqués
Le défaut de maîtrise des gestes de réanimation néonatale dans le cadre de l'urgence inattendue
L’hémorragie post-partum immédiat : défaut de surveillance , sous-estimation des pertes sanguines , prise en charge tardive ou inappropriée
Les manœuvres obstétricales non maîtrisées : ex : dystocie des épaules (atteinte à l'intégrité physique- cas extrêmement rare)
Les conséquences immédiates et à long terme des hypoxies ou anoxies fœtales constituent la très grande majorité des dossiers de procédures pénales engagées contre les sages- femmes
Quel sera le rôle de l'expert dans ce type de dossier ?
En résumé, l'expertise doit éclairer le magistrat sur les faits, les techniques de la prise en charge de la grossesse, du déroulement du travail, de l'accouchement, du nouveau-né à la naissance, de la surveillance mère/enfant dans les suites de couches immédiates et au-delà des 24 heures.
Les experts évaluent l'organisation des soins dans l'établissement, dans le service et le secteur concerné : moyens matériels et humains, procédures de soins, protocoles , formation continue, évaluation des pratiques , gestion des évènements indésirables …
Ils analysent la prise en charge médicale mentionnée dans le dossier (qui fait quoi, quand et comment, pourquoi?), la prise en charge était-elle conforme aux données scientifiques actuelles, y a-t-il eu un manquement aux règles de l'art, négligences, omissions, imprudences, y a-t-il eu une prise en charge défectueuse ? Pourquoi ?.
Les experts entendent les parties et recueillent leurs dires. Puis la rédaction du rapport se fait à partir de tous les éléments recueillis. Ceux-ci permettent de répondre aux questions de la mission avec la reconstitution des faits à partir du dossier médical, des procès-verbaux, des dires, des parties, de l’analyse des dires, de la prise en charge médicale en fonction des données scientifiques existantes au moment des faits (bibliographie) ainsi que des réponses à toutes les questions de la mission.
La fonction d’expertise médico-judiciaire est-elle limitée dans le temps ?
La fonction d'expert est limitée dans le temps par la loi : moins de 70 ans, périodes de 5 ans renouvelable ou pas. Le travail de l'expert dure le temps de la mission, ce qui peut être variable selon le type de dossier. En effet, le temps passé dépend de sa complexité : organisation des réunions (1 réunion = 5 heures en moyenne), analyse de toutes les pièces du dossier (plusieurs heures à quelques jours), rédaction du rapport (plusieurs heures).
Si la mission d’expertise est ponctuelle, elle reste néanmoins chronophage. En général, la mission s’étale sur plusieurs mois.
Quelle est la rémunération ?
Il n’y a pas de tarif officiel dans notre spécialité, mais il est évalué selon le temps passé pour remplir la mission. Les expertises pénales sont rémunérées par l’État (budget des TGI), les expertises civiles, par ceux qui les sollicitent.