Une rencontre et elle a sauté le pas pour accompagner la naissance à domicile. Rencontre avec la sage-femme, Hélène Goninet.
Diplômée de l’École de Sages-Femmes de Lyon en 1992, Hélène Goninet savait dès le départ qu’elle ne vouerait pas toute sa carrière à l’hôpital. Ayant expérimenté l’accouchement chez elle avant même d’être sage-femme, sa vision de la mise au monde était bien différente de la réalité hospitalière…
Pouvez-vous nous parler de vos débuts en tant que sage-femme ?
Lorsque j’ai commencé à accompagner les naissances à l’hôpital, j’étais complètement décalée. Je me rappelle la première fois que je suis rentrée dans une salle de naissance, c’était dans un vieux bâtiment, un lieu sordide. Moi qui m’imaginais quelque chose de doux, ce fut la douche froide !
J’ai entrepris les études de sage-femme, parce je souhaitais accompagner les femmes de façon globale avec l’accouchement à domicile (AAD). Mais il y avait ce discours très normatif et alarmiste sur les risques, sur la folie de l’accouchement à la maison, si bien qu’à mes débuts j’étais un peu perdue. Heureusement, j’ai eu la chance de rencontrer, en novembre 1992, Jacqueline Lavillonnière. C’est une sage-femme qui pratiquait l’accouchement à domicile en Ardèche depuis plusieurs années, avant de devenir une militante reconnue par ses pairs. À l’époque, elle cherchait une remplaçante, je lui ai dit que je n’avais pas d’expérience pour cette activité. Mais face aux gardes à l’hôpital qui me plongeaient dans un climat de peur permanente, j’étais en difficulté et je ne me sentais pas adaptée, j’ai donc choisi de travailler avec Jacqueline. Elle m’a épaulée dans cette pratique. Au début, j’ai certainement dû transférer plus de femmes que nécessaire parce que j’avais aussi l’idée qu’un accouchement ne devait pas durer trop longtemps. On peut dire que j’ai réappris mon métier, en me basant sur ma relation avec les femmes, sur ce que chaque femme était et non plus sur des normes…
Selon vous, quelle est la plus grande difficulté pour les sages-femmes d’accompagner les couples pour une naissance à domicile ?
Je dirai la disponibilité. Il faut savoir se rendre disponible à tout moment. Mais le bonheur d’accompagner une naissance en pleine liberté est tellement riche que j’ai bien vécu cette contrainte.
Et concernant les assurances des sages-femmes ?
Depuis 2000, il n’y a plus de compagnie d’assurance qui propose un contrat couvrant les risques pour les sages-femmes pratiquant les AAD. Des assurances refusent même d’assurer les sages-femmes pour tous leurs actes à partir du moment où elles réalisent des accouchements à domicile. Une assurance professionnelle a été proposée à des prix prohibitifs que les sages-femmes ne sont pas en mesure de payer. Des sages-femmes essayent de chercher un fonds de solidarité, de trouver des solutions pour obtenir une assurance à un prix correspondant à leurs capacités. Des démarches ont été entreprises par Jacqueline Lavillonnière, soutenue par l’Association Nationale des Sages-Femmes libérales, mais elles n’ont pas abouti à ce jour. Le tarif de 25 000€ euros par an reste prohibitif. L’affaire est portée en conseil d’État. C’est un véritable problème, car les sages-femmes se retrouvent entre la légalité d’accompagner l’accouchement à domicile et l’illégalité de pratiquer sans assurance.
Quelles sont vos réflexions sur les points positifs de l’accouchement à domicile ?
Plus que l’accouchement à domicile, ce qu’il faut mettre en avant c’est l’accompagnement global. Les sages-femmes connaissent les femmes dès le début de la grossesse, elles les accompagnent, elles apprennent à se connaître mutuellement, à se faire confiance, à sentir fragilité et force. C’est important pour la femme de se sentir en confiance et c’est important pour la sage-femme, surtout dans une pratique qui n’est pas encouragée par la majorité des personnes. Les bénéfices c’est de vivre un rite d’initiation à son rythme, en pleine liberté. Pendant un accouchement à domicile, la sage-femme ne fait rien, nous sommes dans la présence, il y a bien sûr une vigilance à ce qui pourrait être pathologique, mais nous nous adaptons à ce nouveau lieu, ce nouveau couple, cette nouvelle famille, cette nouvelle situation … C’est riche, c’est toujours une aventure.
Quand j’étais hospitalière, je me suis rendu compte que les femmes étaient habituées à être « dirigées ». Quand je leur demandais ce qu’elles souhaitaient pour la naissance de leur enfant, j’ai senti plusieurs fois leur insécurité. Depuis des siècles, nous sommes dans une société où les femmes ont pris l’habitude que l’on décide pour elles. Celles qui souhaitent accoucher à la maison veulent vivre les choses, choisir, découvrir leur force, leur puissance. Peut-être que la majorité des femmes qui optent pour l’hôpital souhaitent être « prises en charge ». C’est diffèrent, tout le monde ne peut pas accoucher à la maison et tout le monde ne veut pas, beaucoup de femmes veulent la péridurale, la technique. C’est peut-être aussi un formatage, la culture. Dans l’avenir, le vent tournera, mais cela prendra du temps…
Photo de Amina Filkins provenant de Pexels