Après avoir exercé à Marseille, puis Paris, Aurélie Crozet a jeté son dévolu sur la Nouvelle-Calédonie. Trois ans après l’obtention de son diplôme de sage-femme, elle s’envole vers une nouvelle aventure prévue pour 1 an. Il y passera finalement 10 ans de sa vie, où elle a choisi d’exercer dans une maternité de niveau 3… Nous lui avons posé quelques questions.
Être sage-femme en Nouvelle-Calédonie : Comme la profession est-elle reconnue ?
Sur le plan professionnel, la sage-femme a un statut comparable à celui de la métropole, profession médicale à compétences limitées, parfois un peu plus élargies du fait de l’organisation géographique des soins. Au dispensaire, elle exerce son activité de manière très complète et son rôle est capital à plusieurs niveaux, ce qui donne tout son sens à notre profession. Sur le plan salarial, la sage-femme comme l’ensemble des professions pratiquées outre-mer, bénéficie d’un salaire indexé, indispensable au coût de la vie plus élevé dans les îles, basé sur des grilles indiciaires établies par le gouvernement de la Calédonie. Bien entendu en comparaison de la France cela met un peu de beurre dans les épinards, mais cela reste, selon moi, toujours en deçà de vis-à-vis des responsabilités de la profession …Là aussi donc c’est comme en métropole !
Pouvez-vous nous parler de la santé des femmes en Nouvelle-Calédonie ?
Question santé des femmes en Nouvelle-Calédonie, tout y est fait pour offrir la même qualité de soins qu’en France métropolitaine, le bémol vient plus du retard de prise en charge qui se voit souvent chez des femmes qui consultent tardivement pour des pathologies parfois très graves. Il n’est pas rare de voir des cas de cancer gynécologique ou du sein très avancés que l’on ne verrait pas ou plus en métropole… Ceci peut s’expliquer par certaines croyances encore bien présentes dans les tribus où l’on pense encore pouvoir soigner avec des plantes traditionnelles par exemple, ce qui retarde le moment de la consultation médicale à des stades malheureusement souvent trop avancés.
L’alcool est un autre fléau local, tout comme la consommation de cannabis, et sont à l’origine de comportements dangereux ou violents, notamment chez les jeunes, et dans le rapport à la sexualité : viols, pratiques sexuelles débridées, violences conjugales… sont fréquents avec tout ce que cela induit. Aussi les infections sexuellement transmissibles comme la syphilis sont très présentes et sont le constat d’une lutte que les organismes de soins spécifiques et les différentes associations n’ont pas fini de mener…
Quels conseils donneriez-vous à une sage-femme qui souhaiterait s’expatrier ?
Avant tout : bien se renseigner sur les besoins en Sage-Femme. Malheureusement les offres d’emploi ne sont plus ce qu’elles étaient il y a quelques années. Il y a une politique d’emploi local et la Calédonie reste une île avec un nombre limité de postes (il y a une centaine de sages-femmes en Calédonie, tout secteur confondu). J’ai vu plusieurs expatriées repartir après avoir passé plusieurs mois sans trouver d’emploi sur du long terme ou ayant dû faire d’autres petits jobs, et le coût de la vie étant élevé sur place, la situation peut rapidement devenir compliquée sans travail.
Pour se donner plus de chances : être mobile ! La Calédonie ne se résume pas à Nouméa et l’expérience peut être très enrichissante dans les dispensaires en brousse, là il peut y avoir des offres plus régulièrement notamment pour des remplacements sur des périodes de vacances, après c’est la vie en brousse, il faut s’y préparer un minimum mais l’expérience humaine et professionnelle peut être inoubliable.
Une anecdote à nous raconter ?
Malgré le niveau 3 de Nouméa, plusieurs pathologies (par exemple les STT nécessitant du Laser,...) ou la plupart des malformations découvertes in utéro (cardiaques,…) ne peuvent pas être prises en charge en Calédonie, faute de personnels suffisamment qualifiés et de moyens / population. Il est donc parfois indispensable de transférer ces patientes in utéro, ou les nouveau-nés le cas échéant, vers l’Australie le plus souvent, où les autorités administratives ont passé des accords pour leur prise en charge.
De la même manière, certaines îles françaises du Pacifique aux alentours sont moins bien pourvues en matière de moyens et de personnels, c’est le cas de Wallis et Futuna. Ce qui m’amène à mon anecdote inoubliable pour moi, qui s’est déroulée en Mai 2018. J’ai pu prendre part pleinement à l’EVASAN du jeune Daniel, né quelques heures auparavant à Futuna, à 34 SA environ, en détresse respiratoire. Accompagnée d’une pédiatre et d’une puéricultrice, après avoir été déclenchées en urgence, nous sommes parties en avion de l’armée (un CASA 235) et 3 militaires à bord pour une traversée du Pacifique de près de 6h en pleine nuit afin de rejoindre le petit Daniel et sa maman à Futuna. Une ambulance nous attendait à l’aérodrome pour nous conduire jusqu’au dispensaire à plus d’1h de route de là. A notre arrivée, cela faisait plus de 12h déjà que Daniel était né, il était sous sa rampe chauffante avec un semblant de CPAP, n’ayant pu être intubé par l’équipe sur place, la maman était forcément très inquiète mais soulagée de nous voir arriver, tout comme la totalité de la famille présente au dispensaire jusqu’à la grand-mère en fauteuil roulant. Intubé, perfusé, placé dans la couveuse de transport, nous voilà reparties dans l’autre sens avec une escale obligatoire pour refaire le plein de l’avion à Wallis. Tout ceci n’aurait pas été suffisamment épique si la bouteille d’oxygène défaillante ne nous avait pas lâchés rapidement après notre décollage, aussi nous n’avons pas été de trop, à 3, pour nous relayer et ventiler manuellement Daniel durant plus de 5h… L’histoire finit bien puisque Daniel a bien évolué par la suite, lui et sa maman se portent bien. Bref, une expérience assez folle et inoubliable, et ce sentiment indescriptible de s’être rendue utile et d’avoir vraiment contribué à sauver cette petite vie à l’autre bout du Pacifique.