Après une expérience hospitalière d’une dizaine d’années en Belgique, Ingrid Bayot , sage-femme depuis 1981, s’est tournée vers l’accompagnement de l’allaitement et de la période postnatale, ce « quatrième trimestre » si intense et si bouleversant pour les nouvelles mamans. Elle vit désormais au Québec mais partage son savoir à travers des formations qu’elle dispense dans les pays francophones, ainsi qu’avec la publication de son ouvrage « Le quatrième trimestre de la grossesse » aux éditions Erès. Nous l’avons rencontrée !
Pourquoi vous êtes-vous intéressée au 4e trimestre ?
J’ai constaté au cours de ma pratique la détresse dans laquelle pouvait se trouver certaines femmes dans les semaines qui suivent l’accouchement. Depuis une quarantaine d’années, de nouvelles connaissances sur ses besoins affectifs du tout petit, sur la construction de son cerveau, l’attachement ou l’allaitement, ont considérablement modifié notre regard sur le bébé humain. De nombreuses publications confirment l’importance des premières interactions, du portage proximal, du contact peau à peau, de l’allaitement maternel… Et c’est une très bonne chose.
Mais… quelles en sont les conséquences pour les parents, et en particulier pour les nouvelles mères ? Le niveau d’attente de la société est plus élevé. Le niveau d’exigence envers elles-mêmes, également. Or, le congé maternité est toujours aussi court ! Or, le support psychologique ou matériel, ou les personnes compétentes en allaitement ne sont pas si faciles à dénicher. Il y a vraiment un double langage : d’un côté le maternage et l’allaitement sont encouragés, de l’autre, rendus difficiles, voire dénigrés. Le bébé attire toute l’admiration attendrie de l’entourage mais porte-t-on assez attention à la nouvelle mère ? Lors des premières semaines postnatales, les femmes sont souvent trop seules ; elles ne sont pas épauléescomme cela s’observait et s’observe toujours dans certaines cultures. Le congé paternité n’est que de 10 jours en France. Cette solitude est préjudiciable à sa santé mentale, à la mise en place de la relation avec son bébé et à son sentiment de compétence. Et pourtant, il s’en passe des choses durant ce trimestre post-natal. Deux chantiers majeurs : une post-gestation, une dégestation.
« Post-gestation et dégestation », pouvez-vous nous en dire plus ?
Le bébé sapiens naît tellement immature qu’il a besoin d’être porté et de rester en proximité intensive avec sa mère, ou au moins, avec un adulte attentif, l’un n’empêchant pas l’autre d’ailleurs (clin d’œil aux papas). Cette co-dépendance des deux organismes fait suite à la gestation et peut se comparer à une « post-gestation », tant la proximité avec le bébé influence la physiologie maternelle et réciproquement.
Ces co-adaptations sont le fruit de millions d’années d’évolution, et répondent aux besoins d’un bébé à gros néocortex qui survit et se développe mieux dans un milieu chaleureux et attentif. Des ancrages biologiques, tels que les jeux hormonaux, facilitent les comportements protecteurs et maternants, et favorisent l’attachement. Mais quel challenge pour une femme du 21e s. dans une société de vitesse, de performance et d’individualisme… Il arrive aussi que des évènements douloureux, des manques affectifs ou des traumatismes remontent et perturbent la rencontre. Pas simple…Et en même temps, le corps maternel va entrer en « dégestation ». De quoi s’agit-il ? Durant la gestation, il s’était fortement adapté pour supporter (dans les deux sens du terme : tolérer et nourrir) la croissance ultra-rapide du fœtus. Tous les grands systèmes vitaux ont été concernés : respiratoire, cardiaque et vasculaire, hépato-biliaire, musculo-squelettique, etc. Après avoir accouché, une femme est, d’une certaine manière, encore « enceinte ». Son corps va cheminer vers un nouvel équilibre non gravide, qui n’est ni une « guérison » (elle n’était pas malade) ni un retour au corps d’avant (attente non-réaliste !). Ce qui est fascinant, c’est que la proximité du bébé et les tétées, quand elles sont bien vécues par la mère, facilitent la dégestation par les jeux hormonaux de l’ocytocine, entre autres. Quoiqu’il en soit, ce processus exige des précautions et du temps : 3 mois pour la plupart des réajustements.
La dépression post-partum touche près de 20% des femmes et la consommation d’antidépresseurs augmente. Comment l’expliquez-vous ?
Les facteurs de stress sont nombreux dans nos sociétés productivistes. La perspective d’un retour rapide au travail rémunéré ne permet même pas de penser ce temps de la vie des femmes. D’autre part, l’isolement agit comme un facteur aggravant des fragilités personnelles, …et qui n’en a pas ? Et quand l’entourage n’est pas soutenant, s’il déverse des conseils non demandés ou pire, des critiques, il ne joue plus son rôle une enveloppe soutenante.
Qu’est-ce qui pourrait faciliter cette transition, permettre de traverser plus sereinement ce trimestre ?
En fait, il y a nécessité de travailler sur plusieurs niveaux : individuel, familial, citoyen, professionnel et politique.
Les couples devraient être davantage préparés à cette période, ce n’est pas aussi rose (ni noire !) qu’on pourrait le penser. Les sensibiliser aux modifications physiques et psychologiques qui les attendent. Les aider à organiser leur « filet de sécurité » de l’après naissance : oser demander des repas préparés (note 1) ou de l’aide ménagère. Leur fournir les coordonnées d’association de soutien à la parentalité, à l’allaitement ; les mettre en lien avec les TISF (note2) ou, en cas de difficulté, avec un organisme comme Maman Blues (note3). Entourées avec bienveillance, les mères parviendront enfin à « se reposer en même temps que son bébé » (cette fameuse injonction, tellement irréaliste en l’absence de tiers). Autrefois, la cohabitation intergénérationnelle pendant cette période était très courante, mais elle n’est pas la solution possible pour toutes les familles. À travers les relations familiales particulières, et avec le réseau des soutiens communautaires, comment tisser suffisamment de lien et de support ? Il n’y a pas de réponse uniforme et valable pour toutes.Pour les professionnels, il est nécessaire de mieux se former à la physiologie (note4) du travail, de l’accouchement, de la délivrance, des premiers moments de la dyade mère-bébé et de la dégestation. Les sages-femmes sont des professionnelles de première ligne dans les soins post-nataux à la maternité, comme à domicile ou en cabinet.
Du côté politique, il y aurait tant à faire pour améliorer l’offre de service médico-social, et mettre en place des « congés » décents, qui tiennent vraiment compte des chantiers postnataux. On a plutôt l’impression d’une régression, pour le moment…
Et pourtant, en termes de santé et de prévention, les enjeux de la période postnatale sont gigantesques, à court, moyen ou long terme, tant sur l’avenir familial qu’individuel. Ladégestation est une question de santé publique qui concerne toutes les mères, allaitantes ou non.
Liens utiles :
- L’outil « chèque cadeau de naissance », téléchargeable gratuitement.
- En savoir plus sur les TISF
- Association Maman Blues
- Diplôme universitaire en Physiologie en obstétrique