Même si la profession de sage-femme a connu au cours de ces dernières années des compétences grandissantes, sa reconnaissance n'est pas toujours celle escomptée. Son histoire expliquerait-elle sa situation actuelle ? Mathieu Azcue, sage-femme anthropologue, auteur du livre « être sage-femme » nous apporte son éclairage.
Les sages-femmes et la chasse aux sorcières : Pourquoi cette réputation sulfureuse ?
Il est question ici de politique. On est au XVIIe, et les hommes, plus précisément, les chirurgiens-barbiers, souhaitent accéder au lit des femmes pour effectuer les accouchements. Ces hommes aux connaissances livresques n’ont jusque-là pas trouvé leur place auprès des femmes de l’époque très pudiques.
Pour y parvenir, ils se liguent contre les matrones à l’aide de plusieurs tactiques.
La première : les tuer. Près de 80 % des femmes brulées entre le XVIe siècle et le XVIIe siècle étaient des matrones. On les soupçonnait d’infanticide alors qu'elles accompagnaient les mères dont les grossesses n’évoluaient pas, comme les fausses couches ou les morts fœtales.
Ensuite, ils répandent l’idée que les matrones sont incompétentes. Ce qui n’était pas difficile étant donné l’idéologie de l’époque qui voulait que la femme soit, sur le plan social, un être faible voire pathologique.
L’édit de Strasbourg, en 1500, institue alors le début du contrôle des matrones à travers ces stratégies et elles doivent alors faire appel à un chirurgien en cas de difficultés qui dépasseraient leurs compétences.
L’accusation d’incompétence formulée à l’encontre des sages-femmes remonte à loin et cette longue tradition permet d’éclairer la situation périnatale actuelle.
Les figures marquantes de la profession
Louise Bourgeois (1563-1636), sage-femme à la cour du roi Louis XIV, incarne un vrai tournant. Elle est la première femme de tout l’occident chrétien à avoir écrit une encyclopédie médicale. Après l'accompagnement de nombreuses femmes de la cour, dont la reine, elle tombe en disgrâce lorsqu’une maîtresse du roi décède en couches.
Des chirurgiens-barbiers, désignés pour l’autopsier, retrouvent des fragments de placenta dans son utérus. Pourtant, Louise Bourgeois explique très bien dans ses carnets qu’elle avait bien réalisé les gestes nécessaires, à savoir une révision utérine. Tout porte à croire que ces hommes ont agi volontairement pour décrédibiliser une profession toute entière.
Suite à cet incident, le roi n'accordait sa confiance qu'à un chirurgien pour accompagner les femmes en couches. Les chirurgiens-barbiers qui seront soutenus par les institutions françaises au détriment des matrones n’ont pourtant pas permis de diminuer les taux de mortalité maternelle et infantile. Ceux-ci ne chuteront qu’au milieu du XXe siècle.
Ensuite, comment la profession s'est-elle organisée ?
A la fin du XVIIe siècle, une école de sage-femme se tenait à l’hôtel Dieu de Paris. On y dispensait aux matrones une formation courte et très empirique. C'était généralement des femmes ménopausées avec une pratique de l’accouchement, liée à leur expérience. Elles réalisaient des soins génériques pour la population, elles maîtrisaient l’usage des plantes, elles accompagnaient les femmes en couches et plus spécifiquement les filles-mères. Elles étaient affiliées aux autorités médicale puisque la plupart d’entre elles étaient mariées à des chirurgiens du comté local et appartenaient à la confrérie de Saint-Côme.
Mais au XVIIIe siècle, le gouvernement comprend qu’il y a un besoin d’organiser la santé de la population à des fins économiques et productives. A cette période, la rumeur court que la France se dépeuple en raison d’une surmortalité alors qu’il y avait une forte natalité et un bon renouvellement générationnel. On estime également que les matrones manquent de connaissances.
C’est à ce moment-là que Louis XV décide de délivrer un brevet royal à la sage-femme Madame du Coudray afin qu’elle puisse donner des cours dans tout le royaume : c’est la naissance des cours d’accouchement. Elle se livre à un véritable tour de France, et à l’aide d’un mannequin spécialement conçu et de son manuel sur l’art de l’accouchement, elle forme des futures sages-femmes. Ces cours vont recruter des jeunes filles de 18 à 20 ans qui vont être payées la plupart du temps par la paroisse. Ce lien avec l’église va perdurer en même temps que va s’instituer celui avec les médecins. En effet, ils vont prendre la direction des cours d’accouchement et même y imprimer leur marque, comme avec l’instauration de la position d’accouchement sur le dos.
Ces jeunes filles se rendaient à la ville pendant 3 mois pour des cours intensifs en internat et ce jusqu’aux années 70. Elles revenaient par la suite dans leur campagne avec leur trousseau qui comprenait des aiguilles, le nécessaire d’hygiène mais aussi parfois des forceps et leur certificat de sage-femme. Elles avaient une expertise très scolaire car elles avaient appris dans les livres, sur un mannequin mais jamais auprès d’une femme enceinte. Ces sages-femmes vont peu à peu remplacer les matrones, celles-ci continueront malgré tout d’exister jusqu’à la révolution.
Les écoles de sages-femmes crées par Mme du Coudray sont officialisées par décret en 1803. L’année suivante, dans le code Napoléon, les femmes sont interdites pour pratiquer la chirurgie et utiliser des instruments dont les forceps. Avec la création du corps des gynécologues-obstétriciens, en 1882, les sages-femmes sont menacées de disparition. C’est par le soutien d’un obstétricien parisien, reconnaissant les compétences des sages-femmes, qu'elles pourront poursuivre leur exercice. En 1916, une formation de deux ans sera alors requise pour exercer le métier de sage-femme.