Sage-femme depuis 2005, Clémence Schantz s’est lancée en 2011 dans une formation de sciences sociales. Après avoir soutenu sa thèse en 2016, elle travaille aujourd’hui à l’Institut National d’Études Démographiques (INED) en tant que sociologue.
Pourquoi cette orientation vers la sociologie ?
C’est au cours de mon doctorat lorsque j’étais affiliée au Ceped (Centre population et développement), un laboratoire où les chercheurs travaillent quasi exclusivement sur les pays du Sud avec notamment l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), que je me suis focalisée sur la sociologie.
Je m’intéresse particulièrement aux rapports de pouvoir qui s’exercent sur le corps des femmes à travers les pratiques obstétricales. Cet attrait a débuté lors de mon enseignement en master 2. Je suis partie 4 mois à Phnom Penh, au Cambodge. Je travaillais sur le fœtus au cœur de la société cambodgienne. Une partie de la semaine j’étais dans une ONG, je me rendais dans les villages, je rencontrais des gens pour les interroger, etc, et une autre, j’étais à l’hôpital. Et c’est là où j’ai découvert une pratique : la périnéorraphie. Elle vise à resserrer fortement le vagin des femmes après un accouchement. Elle est pratiquée en France en cas de prolapsus rectal surtout chez les femmes âgées. Mais au Cambodge, j’ai constaté que les sages-femmes et les obstétriciens pratiquaient des périnéorraphies sur des femmes jeunes qui venaient d’accoucher, soit immédiatement après la naissance soit quelques semaines, quelques mois plus tard.Cette découverte a été pour moi un moment décisif dans la recherche où j’ai pris conscience que certaines pratiques obstétricales, médicales, chirurgicales peuvent être détournées de leur objectif médical afin de répondre à une demande sociale. Ici, il s’agit du plaisir sexuel masculin parce qu’il y a vraiment cette idée de façonner le corps de la femme en fonction du pénis de son mari.
En 2017, vous avez obtenu une bourse de la fondation Mustela pour un de vos projets, de quoi s’agit-il ?
À l’issue de ma thèse, j’ai construit un programme de recherche nommé CESARIA avec 2 autres chercheurs, Myriam De Loenzien et Alexandre Dumont. On a monté ce programme en France, au Cambodge, au Viêt Nam, au Mali et au Bénin. Il s’agit d’une étude comparative sur les déterminants sociodémographiques de la pratique de la césarienne.
Je travaille sur ce projet depuis 3 ans et plus particulièrement sur le Mali, le Bénin et la France où j’ai eu la chance d’obtenir un soutien de la fondation Mustela. Je les remercie d'ailleurs mille fois pour ce qu’elle fait pour les sages-femmes, la bourse est un tremplin, elle nous aide à participer à des congrès, à publier des articles… C’est très important pour nous, sages-femmes.
On a mis en place une cohorte de 330 femmes, recrutées à l’Institut Mutualiste de Montsouris (Paris), et à l’hôpital intercommunal de Poissy. On les a interrogées avec un questionnaire fermé dans le dernier mois de leur grossesse puis 1 mois et 8 mois après l’accouchement via un entretien téléphonique. Le critère de jugement principal était d’évaluer si les femmes préféraient accoucher par les voies naturelles ou bien par césarienne. Très nettement, les femmes ont exprimé une préférence pour l’accouchement par voie basse. Ensuite, nous avons étudié les facteurs annexes à savoir, les liens avec la sexualité, l’allaitement, la douleur… Mais l’étude n’est pas terminée, je ne peux donc pas divulguer les résultats, car ils ne sont pas encore publiés.
Concernant le Mali et le Bénin, y a-t-il des données que vous pouvez nous communiquer ?
Oui pour le Mali et le Bénin des articles ont déjà été publiés. Ces 2 pays font face à un double fardeau, des taux de césarienne très bas en population générale pourtant plus de femmes devraient avoir accès à la césarienne. Si l’on prend l’exemple du Bénin, 5% des femmes en population générale ont subi une césarienne. Mais à l’inverse, on trouve aussi dans les institutions de santé, des taux de césarienne très élevés (recensés dans 4 hôpitaux différents). On a trouvé un taux moyen de césarienne de 43% et des taux très augmentés chez les femmes à bas risque obstétrical avec des interventions réalisées parfois hors indications médicales.
Ces raisons sont plurifactorielles, il y a une politique de gratuité de la césarienne au Mali et au Bénin qui lève beaucoup d’obstacles, car elle est pratiquée plus facilement. On voit aussi des césariennes de détresse parce que les femmes accouchent dans des conditions extrêmement défavorables dans les maternités, elles sont plusieurs dans les salles de naissance, il n’y a pas de prise en charge de la douleur et pas d’accompagnement possible. Certaines femmes demandent alors une césarienne tant elles sont mal aussi bien physiquement que psychologiquement. Un autre facteur est le manque de matériel et l’absence de monitoring, ceci incite à réaliser plus de césariennes, faute de moyen de surveillance…
Quelles sont les études que vous menez en parallèle ?
À l’INED je travaille avec Virginie Rozée sur les violences obstétricales. On a constaté que ce concept a été saisi massivement par les usagers de santé, par les journalistes, mais très peu par les chercheurs. Nous souhaiterions savoir si ce concept permet de repenser les rapports de genre.
Quelques chiffres sur les pratiques abusives en institution :
Près de 94% d’épisiotomie dans la plus grande maternité de Phnom Penh
La pratique de la périnéorraphie s’apparente à une mutilation génitale féminine de type 3 telle que décrite par l’OMS. Elle est pratiquée dans les institutions par des professionnels de santé à Phnom Penh
Le taux de césarienne a été multiplié par 3 en 10 ans à Phnom Penh
Dans les institutions de soins, le taux de césarienne est de 31% au Mali et 44% au Bénin
Références :
Reasons for routine episiotomy: A mixed-methods study in a large maternity hospital in Phnom Penh, Cambodia.Schantz C, Sim KL, Ly EM, Barennes H, Sudaroth S, Goyet S. Reprod Health Matters. 2015 May;23(45):68-77. doi: 10.1016/j.rhm.2015.06.012. Epub 2015 Jul 27.
Factors associated with caesarean sections in Phnom Penh, Cambodia.
Schantz C, Sim KL, Petit V, Rany H, Goyet S. Reprod Health Matters. 2016 Nov;24(48):111-121. doi: 10.1016/j.rhm.2016.11.009. Epub 2016 Dec 10.
« Cousue pour être belle’ : quand l’institution médicale construit le corps féminin au Cambodge ». Schantz, Clémence. 2016. Cahiers du Genre 61 (2): 131‑50. doi.org/10.3917/cdge.061.0131
Why are caesarean section rates so high in facilities in Mali and Benin?
Schantz C 1 , Ravit M , Traoré AB , Aboubakar M, Goyet S , de Loenzien M, Dumont A 2 ; Cesaria group. Sex Reprod
Healthc. 2018 Jun;16:10-14. doi: 10.1016/j.srhc.2018.01.001. Epub 2018 Jan 10.
Do free caesarean section policies increase inequalities in Benin and Mali?
Ravit M, Audibert M, Ridde V , De Loenzien M, Schantz C, Dumont A.
Int J Equity Health. 2018 Jun 5;17(1):71. doi: 10.1186/s12939-018-0789-x.